« On nage en pleine culture de l’excuse »

 
Jean-Paul Brighelli : Commençons par l'actualité de l'éducation, et les récentes décisions de Mme Vallaud-Belkacem. Par exemple, la suppression des notes (déjà effective dans le primaire) au collège, et leur remplacement par des pastilles vertes ou rouges…
 
Nicolas Dupont-Aignan : C'est vraiment n'importe quoi ! Comment imaginer transmettre des connaissances et des méthodes de raisonnement sans en évaluer la maîtrise effective ?! On entend dire que les notes seraient stigmatisantes et décourageantes pour les élèves. Pourtant, c'est dans les pays où cette approche est développée, comme aux États-Unis, que l'on constate un affaiblissement du niveau scolaire… Vous et moi, et toutes les générations passées d'élèves, avons été soumis au système de la notation. Personne n'en est mort, mais, en revanche, nous avons chacun le souvenir du jour où une "mauvaise" note a été l'occasion d'une reprise en main de soi. Et où l'obtention de bons résultats a constitué, à l'inverse, tant un motif de légitime fierté qu'un stimulant pour continuer à bien, voire à mieux faire. Ce n'est évidemment pas en cassant le thermomètre que l'on va améliorer la place de la France dans les classements internationaux.
 
Ou la suppression du redoublement, sinon sur demande de la famille…
 
Bien évidemment, le redoublement est un constat d'échec – qu'il faut dédramatiser tout de même. Il va de soi aussi qu'il faut offrir aux élèves en difficulté un soutien personnalisé, à la fois pour prévenir le redoublement et, le cas échéant, pour l'accompagner. Mais sa suppression totale serait une vraie erreur : en effet, on constate souvent que le passage automatique d'élèves décrocheurs n'aboutit strictement à rien, sinon à accepter qu'une population scolaire soit définitivement perdue jusqu'à sa sortie du système à l'âge de 16 ans. Quand j'entends ceux qui invoquent la suppression du redoublement prétendre que c'est pour mieux assurer l'égalité entre les enfants et un avenir meilleur à tous, c'est vraiment là que me saute aux yeux la mise en place d'une école à deux vitesses : d'un côté ceux qui s'en sortiront toujours, de l'autre ceux que l'on abandonne à l'échec scolaire au nom d'une fausse modernité et d'une générosité dévoyée. Au lieu d'accompagner vers le néant les plus de 18 % d'enfants illettrés arrivant en sixième, on ferait mieux de s'assurer que l'on comble réellement leurs lacunes ! Le redoublement en est un instrument, même si ce n'est pas le seul, bien entendu.
 
 
 
Ou la récente décision d'autoriser des mères voilées à encadrer des sorties scolaires…
 
Il est totalement irresponsable d'autoriser de telles pratiques ! On joue ici avec l'esprit de la loi, qui consiste, faut-il le rappeler, à promouvoir la laïcité, c'est-à-dire la neutralité religieuse de l'État et du service public. Cette espèce de laxisme, dont j'ignore s'il est inspiré par un excès de timidité sur les principes ou la difficulté à trouver des parents accompagnateurs lors de sorties scolaires, doit vraiment cesser. À force de finasser avec la loi, on inquiète et on énerve tout le monde ! La République, le vouloir-vivre ensemble, ne peuvent pas en sortir indemnes…
 
Votre intérêt pour l'Éducation est ancien, et il est rare chez des politiques. Est-ce d'avoir travaillé jadis dans ce ministère si décrié, lorsque François Bayrou le dirigeait ? Est-ce cette épithète "nationale" qui parle à votre coeur de républicain français ? Ou le sentiment que tout se joue là, à commencer par le destin futur de la France ?
 
Il y a un peu de tout cela, je l'avoue : à l'école se jouent non seulement le destin de l'individu mais aussi celui de la Nation. L'instruction publique à la française symbolisait cette véritable mission démocratique de libération de l'individu par la connaissance et de formation de la cohésion nationale. C'est en effet à l'école que l'on fabrique les Français(es), ce peuple au sentiment national si particulier parce que politique. "Je suis Français parce que je veux l'être, parce que je me reconnais dans les valeurs fondatrices de la Nation et de la République, parce que je veux participer en tant que citoyen, par l'impôt et par le vote, à la vie de la communauté nationale." On voit combien l'école, plus encore depuis la disparition du service militaire, devrait constituer LE creuset de la citoyenneté et du vouloir-vivre ensemble. Que ce creuset aille mal ne peut bien entendu pas être sans conséquences sur la cohésion et l'unité du pays.
 
L'un des chiffres les plus inquiétants est ce taux de 18 % d'élèves à peu près illettrés à l'entrée en sixième. On a largement incriminé des méthodes d'apprentissage de la lecture (et du calcul) dont tous les experts dénoncent la nocivité. Seriez-vous favorable à l'imposition autoritaire de méthodes ou de manuels d'apprentissage qui auraient fait leurs preuves, quitte à empiéter sur la sacro-sainte liberté pédagogique des enseignants ?
 
Évidemment, c'est d'ailleurs une mesure que je défends avec constance depuis mon entrée dans la vie publique. L'Éducation nationale se fait à elle-même un tort terrible en laissant se développer en son sein des polémiques idéologiques qui sont non seulement dépassées, mais n'apportent rien à quiconque : ni aux élèves ni aux enseignants. Lorsque l'on songe que la France est l'inventrice de méthodes d'apprentissage du calcul et de la lecture qu'elle a laissé tomber parce que soi-disant désuètes, et que ces méthodes sont utilisées par des pays étrangers mieux placés qu'elle dans les classements scolaires internationaux, il y a de quoi s'arracher les cheveux, chacun devrait en convenir ! À cet égard, je regrette que les gouvernements de droite successifs, entre 2002 et 2012, n'aient pas eu le courage d'accorder leurs actes à leurs paroles : combien de discours fier-à-bras sur le sujet de l'éducation, et combien de réformes enterrées, avortées, ou vidées de leur substance à cause du conformisme ambiant ? Ce gâchis m'est tout aussi insupportable que la démagogie de la gauche qui, elle, s'adonne plus que jamais aux délices mortels du "pédagogisme", cette autre culture de l'excuse.
 
"60 000 postes en plus", a promis François Hollande. Le Monde, qui ne passe pas pour hostile au chef de l'État, a tout récemment fini par avouer qu'en fait, à mi-quinquennat, le chiffre réel des créations était de… 3 856, le reste étant de l'illusionnisme comptable. De telles promesses sont-elles bien sérieuses ?
 
À l'évidence, non. Hélas, le métier d'enseignant s'est dramatiquement dévalorisé depuis des lustres, sans qu'aucun gouvernement ne se donne réellement les moyens d'enrayer la spirale. Bien sûr, tout n'est pas question de moyens qu'il suffirait de démultiplier jusqu'à l'absurde pour améliorer le système. Mais lorsque l'on voit les déserts éducatifs se multiplier, comme dans la banlieue parisienne, avec des postes vacants, des remplacements au lance-pierre, le développement d'une insécurité face à laquelle on baisse les bras, alors, oui, il est incontestable que la continuité du service public est rompue. Le redéploiement des moyens est certainement une nécessité au sein de l'Éducation nationale, encore plus que dans d'autres compartiments de l'État qui en ont tous bien besoin.
 
Le recrutement d'enseignants subit une crise des vocations. Comment y remédier ? La multiplication de bourses au mérite (très menacées par Geneviève Fioraso, qui a tout fait pour les supprimer au nom d'un égalitarisme douteux) ou le rétablissement de ce que l'on appelait autrefois l'Ipes, une super-bourse obtenue sur concours et offrant le smic aux élèves-professeurs en échange d'un engagement décennal à servir l'État, vous paraissent-ils des pistes possibles ?
 
Les pistes que vous mentionnez me paraissent effectivement les bonnes et la critique que vous faites de la réforme Fioraso, qui confond égalité des chances et égalitarisme social, montre à quel point la gauche continue de s'aveugler sur cette question. Mais il y a plus grave : avant tout, il faut conforter les enseignants dans leur classe, mettre fin au désordre endémique qui y règne parfois. Car aucun apprentissage digne de ce nom ne peut se faire dans le brouhaha permanent et la dissipation, sous la menace d'apprentis-voyous qui imposent parfois leur loi. Je le constate, hélas, tous les jours, dans des établissements de la banlieue parisienne que je connais particulièrement : l'autorité scolaire rechigne à exclure les élèves perturbateurs, désavouant sans cesse les enseignants dont la classe est victime de ces comportements. Certes, rétablir l'autorité des professeurs ne résoudra pas en soi tous les problèmes, mais c'est un préalable indispensable.
 
Une commission est actuellement en train de réécrire les programmes, avec l'idée générale de les alléger, dans toutes les matières. Est-ce la meilleure façon de remonter dans les classements Pisa, où la France s'enfonce d'année en année ?
 
Ici, comme avec la notation, le redoublement et les méthodes d'apprentissage, on nage en pleine culture de l'excuse, qui cache en réalité une démission pure et simple. Le sempiternel allègement des programmes, qu'on larde ici ou là "d'expériences pilotes modernes" (histoire franco-allemande aseptisée, initiation à l'internet en attendant les tablettes numériques à la place du cahier et des stylos !), est l'une des causes incontestables de l'affaiblissement et de l'appauvrissement éducatif de la France. Mieux calibrer, à la marge, les programmes pour les adapter aux filières spécialisées choisies par les élèves, pourquoi pas, mais pas les mutiler à la hache ! D'ailleurs, cette mode qui consiste à revoir les programmes scolaires tous les quatre matins est nocive. Cette espèce d'hyperactivité bureaucratique doit cesser.
 
Quelle est pour vous la matière sur laquelle il faut, d'urgence, mettre le paquet ?
 
Les disciplines fondamentales doivent redevenir la priorité numéro un : le français bien sûr, dont on constate une dégradation continue de la qualité grammaticale, orthographique et lexicale, mais aussi le calcul et les grands repères historiques et géographiques de la Nation. Il faut rétablir un volume horaire hebdomadaire plus important pour l'enseignement du français, envisager tout au long de la scolarité un suivi et une évaluation plus systématiques afin de vraiment relever le niveau. Sur les mathématiques, de la primaire à la sortie du bac, il faudra bien trouver le moyen de résoudre l'énigme que constituent d'un côté l'existence d'une élite de chercheurs, produit d'un environnement national manifestement porteur, et l'espèce de complexe d'infériorité que ressentent tant d'élèves face à cette discipline, majeure pour l'innovation et la formation d'ingénieurs en quantité et en qualité. Pour l'histoire et la géographie, il faut d'urgence mettre un terme à la dérive européiste qui défigure la captation par les futurs Français de leur propre pays et qui, au nom de la lutte contre un nationalisme aujourd'hui imaginaire, entend inculquer aux élèves des connaissances inutiles pour ne pas dire douteuses quant à leur valeur scientifique.
 
87 % de reçus au baccalauréat, 50 % d'échecs en première année d'université. N'y aurait-il pas un hiatus entre le secondaire, quelque peu laxiste, et le supérieur, qui pourtant ne l'est parfois pas moins ?
 
Certainement. Mais j'irai plus loin : tous les jeunes issus d'une classe d'âge, notamment ceux dépourvus de motivation voire d'envie réelles, ont-ils vocation à accéder à l'université, la plupart du temps pour des études généralistes qui forment peu ou mal à la vie professionnelle ? Pour moi, la réponse est non. D'une part, je reste convaincu que le collège unique a été une erreur et qu'il faudra bien avoir le courage d'envisager la sortie du système scolaire à 14 ans plutôt qu'à 16 – à la condition bien sûr de veiller à l'existence de filières de formation satisfaisantes (apprentissage, enseignement technique et professionnel, etc.). Il faudra aussi développer les établissements type IUT. D'autre part, avec la carte de sécurité professionnelle que je préconise et qui permettrait un accès plus juste à la formation tout au long de la vie, on ne condamnerait nullement les jeunes sortis précocement du système scolaire à une exclusion de l'enseignement supérieur. Au contraire, cet accès serait seulement différé pour ceux qui souhaiteraient par la suite s'y former et compléter des savoir-faire professionnels déjà acquis.
 
Il y a un an, un mouvement quasi unanime a soulevé les enseignants de classes préparatoires contre les projets gouvernementaux d'augmentation des services et de réduction de leurs salaires. Diverses décisions prises depuis suggèrent que le gouvernement cherche à noyer les prépas dans les universités. Qu'en pensez-vous ?
 
C'est typiquement ce qu'il ne faut pas faire. L'école publique doit se donner les moyens d'être une institution récompensant le mérite et l'effort. L'existence de ces classes et filières d'excellence, dotées de moyens à la hauteur, est l'un des instruments de cette nécessaire politique. Je rappelle aussi que faire disparaître, édulcorer ces classes préparatoires publiques fera le jeu des enseignes privées, parfois performantes mais réservées par définition à un public favorisé. Le PS, une fois de plus, au nom d'une vision égalitariste de la société, fait in fine le jeu de quelques intérêts particuliers au détriment de l'intérêt général.
 
Des faits divers récents ont montré que les étudiantes voilées étaient de plus en plus nombreuses, et de plus en plus revendicatives. Seriez-vous favorable à une extension de la loi de 2004 sur les signes religieux à l'école – voire à proposer un référendum sur la présence de ces signes dans l'espace public ?
 
Appliquons déjà les lois existantes avec fermeté avant d'ouvrir de nouveaux débats législatifs sans fin, propres à cristalliser des rancoeurs et des inquiétudes parfois infondées.al en charge des relations avec les organisations socio-professionnelles