Tribune de Nicolas Dupont-Aignan et Stéphanie Gibaud dans le Huffington Post
AFFAIRE CAHUZAC – Le lundi 8 février 2016 s’ouvre au Palais de justice de Paris le procès de Jérôme Cahuzac, accusé de fraude fiscale. Cette affaire impliquant l’ancien Ministre du Budget n’est finalement que l’arbre qui cache la forêt.
Les Français ont découvert que l’exil fiscal est devenu une pratique de plus en plus répandue, y compris au sommet de l’Etat. Les entreprises multinationales du CAC 40 et un nombre important de grandes fortunes utilisent des comptes domiciliés dans des paradis fiscaux pour échapper à l’impôt. Alors que l’Etat demande toujours plus aux citoyens français, chaque année, la fraude fiscale lui coûterait près de 60 milliards d’euros.
L’impunité de certaines élites, la duplicité de certains gouvernements, le silence de l’administration, l’inertie de la Justice, dissimulent un système de fraude organisée, un vol institutionnalisé au détriment de l’intérêt de la grande majorité des citoyens.
La situation a-t-elle changé ? Malheureusement non.
Sans la diffusion par Mediapart d’un enregistrement audio accidentel, Jérôme Cahuzac serait toujours ministre du Budget et adepte de l’évasion fiscale. Le fisc français vient de mettre la main sur une liste de 38.000 comptes numérotés appartenant à de riches clients français d’UBS en Suisse. Le fichier informatique récupéré par la Direction nationale des enquêtes fiscales (DNEF) révèle plus de 12 milliards d’euros d’avoirs « cachés » pour 2008.
C »est encourageant.
Néanmoins, le gouvernement ne prend toujours pas à bras-le-corps cette lutte contre la corruption à grande échelle. En achetant par exemple, comme l’Allemagne, directement ces listings de fraudeurs qu’il découvre parfois au hasard, il pourrait décupler notre action contre l’évasion fiscale.
Car, malgré le courage et le sacrifice des lanceurs d’alerte, banques et paradis fiscaux continuent à prospérer en toute impunité.
Il est temps que les autorités se rendent compte du niveau de corruption en Europe et prennent des décisions radicales, comme la protection de tous les lanceurs d’alerte, afin de mettre fin à des pratiques qui ne cessent d’alimenter les suspicions sur un pouvoir politique et économique déjà exsangue après les révélations qui se multiplient.
A l’instar des Etats-Unis où une réelle protection est accordée aux dénonciateurs de fraude fiscale, la France doit récompenser de manière juste et cohérente une telle prise de risque par exemple en leur faisant bénéficier d’une rémunération décente et d’une offre de recrutement dans les services de l’Etat pour participer à la lutte anti-fraude: ainsi, les établissements bancaires seraient responsabilisés et conscients du danger que représente toute pratique frauduleuse.
Nous déplorons par ailleurs que toutes les conclusions du rapport parlementaire sur l’évasion fiscale rédigées avec Alain Bocquet et celles du livre « Les Voleurs de la République » en 2013 n’aient pas été suivis d’effet.
En effet, la bonne volonté des équipes du fisc et des douanes est vite réduite à néant par un manque de moyens et d’effectifs.
Depuis 2007 et le lancement par Nicolas Sarkozy de la Réforme générale des politiques publiques (RGPP), censée réaliser des économies, deux départs à la retraite sur trois n’ont pas été remplacés aux Impôts et au Trésor public. Le mandat de Français Hollande n’a pas été synonyme de grands changements en la matière. Au contraire.
De plus, le scandale de la fraude à la TVA, qui est encore méconnue de l’opinion publique et sous-estimée par Bercy, continue d’exister.
Grâce au système du « carrousel », qui est un mécanisme de dissimulation de TVA communautaire grâce à des sociétés écrans, les voleurs rackettent les caisses de l’État sans rien risquer. En effet au moment où les services du Fisc vérifient l’existence de l’entreprise, c’est 15 mois après le versement des chèques par l’État. Autrement dit, les voleurs sont partis depuis longtemps avec l’argent qu’ils déposent souvent dans des paradis fiscaux.
Par ailleurs, le gouvernement a toujours refusé de remettre en cause une pratique digne de l’Ancien Régime, peu connue du grand public, celle qui accorde un monopole discrétionnaire au ministre des Finances pour déclencher une enquête pénale sur la fraude fiscale. Cet archaïsme, unique en Europe, nuit gravement aux efforts de transparence nécessaires. De fait, tout récemment, c’était donc un certain Jérôme Cahuzac qui pouvait décider de la poursuite ou non d’entreprises ou de particuliers en délicatesse avec le fisc… Situation aberrante!
Enfin, « responsables mais pas coupables », tel est le credo des banques condamnées à des amendes qui ne sont malheureusement pas assez dissuasives.
Elles préfèrent ainsi souvent négocier avec la justice selon la procédure du plaider coupable, quitte à s’acquitter d’amendes. Cela doit cesser. Le temps des arrangements est révolu.
Le jour où des dirigeants de banques seront pénalement condamnés en cas d’aide à l’évasion fiscale permettra réellement de faire bouger les choses.
Si des efforts législatifs louables ont été opérés récemment, il reste encore beaucoup de chemin à faire.
Lire l’article sur le site : http://www.huffingtonpost.fr/nicolas-dupont-aignan/le-proces-cahuzac-doit-etre-celui-de-levasion-fiscale_b_9185408.html?1454928033