Ceux qui s’intéressent aux signaux faibles auront noté un détail majeur dans le traité d’« amitié renforcée » signé par la France et la Pologne le 9 mai 2025[i]. L’article 4, consacré à la défense, ne mentionne pas l’arme nucléaire. Et pourtant, tout dans l’architecture du texte : dialogue stratégique, convergence industrielle, coordination militaire semble préparer, sinon légitimer, un futur débat sur l’extension de la dissuasion française[ii] à ses partenaires européens.
Ce traité ne partage pas la bombe. Mais il crée les conditions pour en discuter. Et c’est bien là le danger.
Les engagements sont denses : interopérabilité renforcée, coopération terrestre, aérienne, cyber et spatiale, échanges d’officiers, dialogues doctrinaux… Ce n’est plus un partenariat ponctuel : c’est une esquisse d’architecture militaire commune. Dans une telle configuration, la question de la dissuasion française devient inévitable.
Les signaux politiques sont clairs. Emmanuel Macron a ouvert le champ et de son côté, Donald Tusk, Premier ministre polonais, a exprimé le souhait d’une forme de couverture nucléaire[iii], à l’image de ce qui se fait avec l’OTAN et les États-Unis.
On connaît le scénario : consultation, doctrine partagée, filet de sécurité symbolique… Et bientôt, dilution stratégique. La décision nucléaire, aujourd’hui nationale, deviendrait perçue comme partagée. Or, la dissuasion repose sur une certitude absolue : celle d’un commandement unique, incarné par le chef de l’État. Introduire ne serait-ce qu’un soupçon de cogestion, c’est miner la crédibilité de cette posture et donc son efficacité.
Plus grave : cela ouvrirait la voie à une implication française dans des conflits qui ne relèveraient pas de ses intérêts vitaux. En prétendant renforcer la sécurité européenne, ce glissement pourrait au contraire accroître l’instabilité du continent.
Emmanuel Todd le résumait lucidement dès 2018[iv] :
« L’arme nucléaire, c’est quelque chose d’intime. C’est tellement abominable qu’on ne peut envisager de l’utiliser que pour soi-même. »
La dissuasion n’est pas une ressource diplomatique, ni un actif mutualisable. C’est une ultime garantie de survie nationale. Toute mise à disposition reviendrait à nier sa fonction existentielle.
Ajoutons que cette évolution pourrait violer deux engagements majeurs de la France :
- Le Traité de Moscou (2+4) de 1990, par lequel l’Allemagne réunifiée s’est engagée à ne pas accueillir d’armes nucléaires sur son territoire.
- Le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), ratifié par la France en 1992, qui interdit tout transfert ou assistance nucléaire aux États non dotés.
Une mise à disposition française de sa dissuasion même indirecte à la Pologne ou à l’Allemagne serait une violation de ces traités. Elle pourrait être interprétée comme un acte hostile par la Russie, ravivant les tensions stratégiques sur le continent.
Sur le plan juridique, le traité franco-polonais reste un accord bilatéral d’amitié, sans valeur contraignante tant qu’il n’est pas ratifié. Même une fois ratifié, il relèverait davantage d’une déclaration d’intention que d’un engagement exécutoire. Mais son interprétation future pourrait poser des questions constitutionnelles sérieuses, notamment au regard du rôle exclusif du président dans le domaine nucléaire.
Face à ces risques, Debout la France en appelle aux parlementaires pour qu’ils saisissent cette question vitale. La doctrine française de dissuasion repose sur un principe fondateur : la maîtrise nationale, pleine et entière. Tout le reste est stratégiquement suicidaire.
[i] « Traité pour une coopération et une amitié renforcées entre la République de Pologne et la République française ». Source Elysée, 9 mai 2025.
[ii] Financial Time, “Emmanuel Macron open to stationing French nuclear weapons in other European nations”, Leila Abboud et Polina Ivanova, 14 mai 2025.
[iii] Euronews, « La France et la Pologne signent un traité renforçant les liens de défense entre les deux pays », 9 mai 2025
[iv] Thinkerview, „Trahison des élites françaises ? », 7 novembre 2018.