Consultation nationale sur la réforme territoriale: « La réforme oui, le retour des féodalités non! »

La France, assemblage de provinces diverses, se distingue avant tout par une identité très particulière, assise au fil des siècles sur la permanence et l'activisme d'un Etat central, garant de son unité et de sa cohésion. Colonne vertébrale de notre pays, c'est l'Etat qui, arbitre et protecteur, a façonné peu à peu un sentiment national universaliste, fondé sur l'égalité entre tous les Français. Egalité nécessaire compte tenu de la variété des terroirs et des racines.

La France est vaste et variée, son territoire est inégalement occupé, présentant une densité de population relativement faible par rapport à nombre de ses voisins européens. C'est pourquoi l'Etat, pour vaincre les féodalités, a créé les départements. Mais par la suite face à l'aspiration légitime de la décentralisation, au lieu de réformer, on a ajouté les collectivités les unes sur les autres : intercommunalités et régions, en attendant les métropoles, se sont additionnées à l'existant, sans clarification ni résultats probants. On en est ainsi arrivé au fameux mille-feuille territorial, empilement de structures peu lisible et coûteux, inefficace au regard des objectifs permanents de l'organisation territoriale de la République.

La réforme territoriale est donc indispensable à la fois pour simplifier l’organisation de notre pays, réduire la dépense publique, mieux représenter nos concitoyens et enfin renforcer l’efficacité de l’action publique. A cet égard, la réforme telle qu'elle se dessine aujourd'hui semble hasardeuse, voire dangereuse. C'est en revanche en ré-enracinant la carte territoriale dans la logique qui l'a animée depuis deux siècles que l'on parviendra à la moderniser efficacement.

LES SUPER-REGIONS SERONT DANGEREUSES POUR L’UNITE NATIONALE ET INEFFICACES, ACCENTUANT LA COUPURE ENTRE LE PEUPLE FRANÇAIS ET SES ELUS

 

La remise en cause de l’unité nationale

En créant 11 super régions, le gouvernement va attiser les éternelles tensions centrifuges qui, déjà en regain dans la crise, n'attendent qu'un signe pour relever leur drapeau. Comment ne pas craindre que plusieurs régions, travaillées au corps par des discours faussement généreux, soient encouragées à basculer dans l'arrogance localiste si, à force d'avoir désespéré d'une République qui les déserte peu à peu, elles voyaient l'Etat lui-même renoncer ? Ce serait sans doute davantage par lassitude que par conviction réelle, par besoin de croire en une cause collective, que seuls les minoritaires et les violents proposeraient dès lors. Le pays ne courait sans doute pas à la dislocation, mais que d'énergies laissées en jachère, de temps perdu et d'espoirs déçus, en pure perte…

De même, ces grands ensembles pourraient susciter des vocations, consacrer l'émergence de nouvelles baronnies, peu soucieuses des prérogatives d'un Etat désormais affaibli et encore moins enclines à se sentir concernées par une solidarité nationale fatalement ressentie comme un fardeau. Et que pèsera dès lors le Président de la République face à onze présidents s'ils ne sont pas du même bord ?

Dangereuses pour l'unité nationale, ces super-régions seraient mécaniquement tentées par le mirage de « l'Europe des Régions », que plusieurs de nos partenaires à la trajectoire historique différente, à la cohésion nationale plus lâche, souhaitent pour leur part instaurer à l'échelle de notre continent.

Prise entre le marteau des féodalités et l'enclume de l'Europe des Régions, que restera-t-il de la colonne vertébrale de la France, l'Etat ? Comment pourra-t-il encore incarner la République elle-même si rabougrie, en aura-t-il encore la force, ne serait-ce que la volonté ?

Et les Français ? Seront-ils plus libres, mieux représentés, plus égaux devant l'impôt et le service public ? Se sentiront-ils plus ou moins français ? Y en aura-t-il d'ailleurs plusieurs sortes ou catégories, selon leur région d'appartenance ou de résidence ? A quoi bon opérer des « chocs de simplification » pour se diriger parallèlement vers la création d'un pouvoir réglementaire régional ? C'est l'égalité des citoyens devant la loi qui va ainsi être battue en brèche !

Si cette réforme portait la promesse de son efficacité, peut-être, malgré les risques, devrait-on aller au bout de ces questions. Mais en l'occurrence, les super-régions annoncées ne seront pas l'instrument d'une meilleure administration publique locale, ni au plan économique, ni au plan institutionnel, ni enfin au plan démocratique.

 

Une action publique moins démocratique, moins efficace et plus coûteuse

Moins démocratique

La création de super-régions va tout d'abord avoir pour conséquence que de vastes territoires vont passer sous leur tutelle, avec pour résultat une moindre représentation des populations. On dit parfois que l'Europe ou Paris sont loin, il en sera exactement de même pour les pouvoirs super-régionaux, a fortiori puisque le mode d'élection des élus locaux sera à la proportionnelle, mode de scrutin par excellence anonyme et désincarné – on le voit actuellement avec les élections européennes, par exemple. Il ne fera pas bon, alors, habiter les zones reculées ou excentrées de ces mastodontes, des millions de Français seront purement et simplement abandonnés. La coupure entre nos concitoyens et leurs élus s’aggravera puisque les représentants des territoires seront de fait choisis par les partis politiques déjà discrédités. Le pouvoir viendra encore un peu plus d’en haut au lieu de remonter du terrain.

Moins efficace

La suppression des départements et la création des grandes régions vont accroître la fracture territoriale entre les métropoles régionales toujours plus riches et les villes moyennes de province toujours plus pauvres. C’est la fin définitive de toute politique d’aménagement du territoire. Nos concitoyens ne seraient pas mieux lotis : ceux des grandes villes seront victimes de leur congestion, empirant sans cesse, avec des coûts collatéraux grandissants – encombrement, spéculation, pollution, mal-vivre… A l'inverse, les villes moyennes dont la mise en réseau dans le cadre départemental constitue une promesse si précieuse pour la revitalisation du territoire, s'étioleront peu à peu parce qu'elles seront livrées à elles-mêmes. Quant aux zones rurales…. Déséquilibrée et budgétivore, cette nouvelle organisation territoriale ne sera aucunement plus efficace et efficiente, elle ne sera pas synonyme d'une gestion publique locale mieux-disante.

Plus coûteuse

Contrairement à l’idée reçue, le regroupement des collectivités ne produit pas toujours des économies. Plus les responsables sont éloignés des citoyens, plus l’irresponsabilité l’emporte. Le principe même de la décentralisation est de rapprocher les décideurs du terrain. L’exemple des conseils régionaux depuis 20 ans n’incite pas à l’optimisme. Les 11 super régions deviendront vite incontrôlables.

Par ailleurs, il est illusoire de croire que ces régions pourront être à la bonne échelle dans le contexte de la mondialisation. C’est à l’Etat qu’il revient d’assumer un rôle de stratège et de prise de risque sur les grands investissements du pays.

Inefficace et dangereuse, cette réforme doit être abandonnée au profit d'une autre, qui respecte la tradition nationale et répondra donc au besoin de proximité et d’efficacité de l’action publique.

 

POUR REFORMER LE MILLE-FEUILLLE TERRITORIAL, REMETTONS A L’HONNEUR LE DEPARTEMENT ET LA COMMUNE EN SUPPRIMANT LES REGIONS

 

Une autre organisation territoriale est possible : la France des 60 départements et la suppression de la collectivité publique régionale qui n'a pas tenu ses promesses.

Cette soixantaine de départements auront la taille critique requise (environ 1 million d’habitants), pour concilier une démocratie enracinée dans les territoires et une efficacité économique et sociale.

Ces nouveaux départements mettront fin sans drame à l'inextricable mille-feuille territorial. L'organisation publique sera rationalisée comme suit :

– les communes seront confortées et incitées financièrement sur la base du volontariat à fusionner.

– les intercommunalités devront rester à taille humaine et pourraient reprendre les missions d’action sociale départementale qui sont aujourd’hui trop souvent éloignées du terrain.

– les départements revigorés reprendraient une partie des missions de la région : lycées, formation professionnelle, transports, action économique de proximité.

La commune et le département redeviendraient ainsi les deux piliers de l’organisation territoriale, les intercommunalités n’étant que l’émanation des premières auxquelles elles resteraient soumises.

L’Etat central assurera la cohésion du tout en garantissant l’égalité entre tous les Français que l’on n’égarera pas ainsi dans des aventures régionalistes aussi vaines que dangereuses.

L'élection territoriale regagnera enfin ses lettres de noblesse : qui ne voit, en effet, que la désaffection des élections cantonales provient avant tout de la confusion et du désordre provoqués par l'ajout de l'échelon régional tel que nous le connaissons ? Offrir au niveau local l'équivalent des élections législatives nationales, uninominales et majoritaires, revitalisera à coup sûr la démocratie territoriale en clarifiant les enjeux et en permettant aux élus de terrain de s'affranchir des pesanteurs des appareils politiques nationaux.

Rapprocher la décision du terrain sera en outre la meilleure garantie d'une gestion plus efficace des affaires locales au moindre coût. Car, contrairement à l'option bureaucratique des centres de décision lointains, l'expérience montre que ce qui est géré au plus près coûte moins cher, le contrôle effectif des citoyens sur l'action de leurs élus apportant un cliquet de sécurité supplémentaire.

En terme d'aménagement du territoire, la nouvelle taille critique de ces collectivités permettra des politiques efficaces et coordonnées de péréquation entre zones rurales et urbaines, de revitalisation des villes moyennes et bien sûr de rationalisation des compétences.

 

Pour y parvenir, il conviendra de lever deux obstacles qui, dans cette configuration, sont en réalité moins redoutables qu'ils n'y paraissent.

 

Le premier est celui de la refonte et du redécoupage. Tout d'abord, c'est une évidence, la suppression des collectivités publiques régionales et la réaffectation de leurs agents seront infiniment moins compliquées que ne le seraient celles des Conseils généraux. Quant au redécoupage des départements, il sera bien moins dramatique que celui aujourd'hui envisagé pour les Régions, car il épousera des dynamiques déjà existantes que commande la réalité : d'ores et déjà, plusieurs départements peu peuplés ou excentrés ont pris l'initiative de réaliser des actions communes. La Drôme et l'Ardèche, l'Indre et le Cher, la Savoie et la Haute Savoie, la Charente et la Charente Maritime, les Pyrénées Atlantiques et les Hautes Pyrénées, etc… sont des exemples tangibles de cette réorganisation spontanée de notre territoire. Une réorganisation spontanée qu'un simple coup de pouce de l'Etat permettrait de pérenniser… Quant à la carte des intercommunalités, convenons qu'elle a valablement progressé ces dernières années et qu'il suffirait de l'ajuster et de la consolider à l'aune de leur vocation désormais clarifiée, dans le sens du volontariat et des projets à la carte.

 

Enfin, que faire des missions réellement conduites à l’échelle régionale comme les universités, les transports régionaux ou les investissements lourds. Il suffira dans ce cas de faire siéger les représentants des départements à une conférence régionale thématique qui pourra, en ces domaines, dépasser les frontières des régions actuelles pour épouser l’idée d’une douzaine de grands ensembles. Mais ces conférences thématiques seraient présidées par des super Préfets de régions qui ainsi veilleraient, sous l’autorité des Ministres, à la cohérence nationale des initiatives et des réalisations départementales. Ce serait l’occasion d’une réelle reprise en main par l’Etat des investissements publics, de la fin des doublons et des dépenses plus motivées par l’égo des nouveaux féodaux que par l’efficacité économique et sociale.

Les métropoles qui ont une dynamique propre pourraient participer à ces conférences régionales thématiques mais resteraient bien évidemment assujetties à l’obligation de péréquation en faveur des zones rurales qui les entourent.

 

 

Aujourd’hui le choix est simple : soit la France continue d’abandonner son modèle pour se plier à la fausse modernité de l’Europe des régions antidémocratique et inefficace, soit l’Etat au nom des valeurs de la République se décide enfin à défendre l’intérêt national et met en œuvre une organisation du territoire plus démocratique, moins coûteuse et plus efficace car adaptée à ses caractéristiques propres : sa géographie et son caractère.

Cette réforme majeure devra en outre être tranchée par le référendum au lieu de rester prisonnière des intérêts de quelques-uns et soumise aux aléas de la conjoncture politicienne. Place à la France des 60 départements !

 

Nicolas DUPONT-AIGNAN

 

« Il y a déjà « l’Europe des Régions » ; ça s’appelait le Moyen Age , ça s’appelait la féodalité» « Tout cela n’est pas si loin, pas très ancien et on se rend compte que si l’unité trouve dans la diversité son charme, c’est à condition qu’on domine cette diversité et qu’on en tire les éléments d’unité. C’est pourquoi la région ne doit à aucun prix être une arme ou un moyen dirigé contre l’Etat »

Georges Pompidou – 1974