Depuis le 1er novembre 2025, des milliers de contrats d’apprentissage sont signés partout en France sur la foi d’un engagement clair de l’État : soutenir l’alternance par des aides à l’embauche, vitales pour les petites entreprises comme pour les centres de formation. Quelques jours plus tard, le masque tombe. Par un décret du 31 octobre 2025, complété par une fiche actualisée du ministère du Travail le 18 novembre, le gouvernement décide de proratiser les aides au nombre de jours travaillés et, surtout, de suspendre les versements pour les contrats conclus après le 1er novembre 2025, au moins jusqu’en mars 2026.
Concrètement, cela signifie qu’entre la signature d’un contrat et le premier euro d’aide perçu, il pourra s’écouler quatre à cinq mois. L’éligibilité des contrats ne sera examinée qu’à partir de la mi-février 2026, et les premiers paiements n’interviendront qu’en mars. Pour un discours officiel qui répète à longueur de plateau que « l’apprentissage est une priorité nationale », la dissonance est totale. Pour les CFA, pour les employeurs, pour les jeunes, ce ne sont pas des ajustements techniques : c’est un coup de massue.
Il faut rappeler le contexte. L’aide à l’embauche des apprentis repose aujourd’hui sur deux dispositifs distincts et non cumulables : l’aide unique pour les entreprises de moins de 250 salariés préparant des diplômes jusqu’au niveau bac, et l’aide exceptionnelle, recentrée sur la période du 24 février au 31 décembre 2025, pour des formations pouvant aller jusqu’au niveau master, avec des montants variant de 2 000 à 5 000 euros, voire 6 000 euros en cas de handicap de l’apprenti. Ces aides, jusque-là versées mensuellement sans tenir compte de la date de début ou de fin du contrat, sont désormais calculées au prorata temporis. Un contrat qui commence ou s’interrompt en cours de mois ne donnera plus lieu à une mensualité complète.
Non seulement l’enveloppe réelle diminue, mais les entreprises doivent en plus supporter un trou de trésorerie de plusieurs mois. Ce sont évidemment les structures les plus fragiles qui seront touchées les premières : artisans, TPE, PME qui se battent pour maintenir l’emploi et transmettre leur savoir-faire. Beaucoup avaient anticipé leurs recrutements à l’automne, en confiance, sur la base du dispositif existant. Du jour au lendemain, sans concertation véritable, la règle change.
La situation des CFA n’est pas moins préoccupante. Le déficit persistant de France Compétences, qui flotterait autour de 1,5 milliard d’euros sans dotations exceptionnelles, sert désormais de prétexte à une politique de rabot permanent : baisse des niveaux de prise en charge, exigences plus strictes, reste à charge imposé sur les niveaux 6 et 7, pénalisation des formations distancielles, et à présent suspension des aides à l’embauche au moment même où les contrats sont signés. Le message est clair : l’apprentissage reste proclamé « prioritaire », mais sous contrainte, au prix d’une instabilité permanente qui met en danger l’écosystème tout entier.
Les directeurs de CFA, les responsables de réseaux de formation, les chefs d’entreprise tirent la sonnette d’alarme. Ils rappellent qu’en 2023 le chômage des jeunes était au plus bas, en grande partie grâce à l’alternance. Ils expliquent que, lorsqu’une entreprise ne parvient pas à recruter, ce sont parfois eux qui, par responsabilité, embauchent directement des dizaines d’apprentis pour leur offrir une chance. Ils constatent la chute continue des prises en charge, la hausse méthodique du coût de l’apprenti pour l’employeur, et maintenant l’annonce brutale d’une suspension des aides jusqu’en mars 2026, avec effet quasi immédiat.
Ces professionnels posent une question simple : comment bâtir une politique de formation sérieuse quand les règles changent tous les six mois au gré des contraintes budgétaires ? Combien de contrats d’apprentissage vont être annulés dans les semaines qui viennent, faute de visibilité et de trésorerie ? Combien de jeunes, déjà fragiles, verront une promesse d’alternance s’évanouir pour des raisons purement comptables ?
Ce qui se joue dépasse la seule ligne budgétaire. L’apprentissage est un levier de dignité et d’ascension sociale, particulièrement dans une région comme les Hauts-de-France où la sociologie, la structure des emplois, les catégories socio-professionnelles exigent des parcours concrets, professionnalisants, permettant à des jeunes issus de milieux modestes d’accéder à des métiers qualifiés, à des responsabilités, à l’entrepreneuriat. Les entreprises, elles, n’ont pas baissé leurs exigences : elles attendent des experts, des managers, des ingénieurs, des entrepreneurs. Affaiblir l’alternance, notamment aux niveaux 6 et 7, c’est organiser à moyen terme une pénurie de compétences dont notre économie paiera le prix fort.
Nous voyons aussi poindre un autre danger : celui d’un modèle de formation « low-cost », déshumanisé, où la réduction des budgets publics pousserait à remplacer, peu à peu, les formateurs par des automates, des plateformes standardisées, des algorithmes livrés à eux-mêmes. Des jeunes formés à bas coût par des dispositifs impersonnels finiraient par perdre le goût de l’échange, de l’effort accompagné, du travail bien transmis. Ce serait un appauvrissement grave de notre vie collective, de notre humanité partagée.
La décision de suspendre les versements jusqu’en mars 2026 s’inscrit dans une logique plus large : celle d’un État qui, au lieu de regarder en face les dérives de sa propre mécanique bureaucratique et les gaspillages multiples, choisit de faire des économies sur ce qui fonctionne. Comme dans le secteur automobile, sommé d’aller à marche forcée vers l’électrification sans véritable étude d’impact sur l’outil industriel, l’emploi et la souveraineté, le gouvernement applique à l’apprentissage des décisions technocratiques, décidées d’en haut, sans considération pour les réalités de terrain. On change les règles du jeu en plein milieu du match, et l’on s’étonnera ensuite de voir les joueurs quitter le terrain.
Pour Debout la France, cette méthode est inacceptable. L’apprentissage ne doit plus être la variable d’ajustement de politiques budgétaires dictées par le court terme et par l’obsession de satisfaire des critères imposés de l’extérieur. Il doit être sanctuarisé comme un investissement stratégique massif dans la jeunesse, dans le travail, dans la reconquête industrielle et économique de notre pays.
Nous plaidons pour une rupture nette avec cette fuite en avant. D’abord, aucune réforme des niveaux de prise en charge ou des aides à l’embauche ne devrait entrer en vigueur sans un délai minimal de prévenance, accompagné d’une étude d’impact publique, permettant aux CFA et aux entreprises d’anticiper sur plusieurs années. Ensuite, le financement de France Compétences doit être sécurisé durablement : en réduisant les gaspillages et les doublons administratifs, en luttant contre les fraudes et les effets d’aubaine, mais en cessant de fragiliser les CFA qui travaillent sérieusement et produisent des résultats.
Il faut aussi assumer une stratégie claire : moins de dispersion, plus de pertinence ; moins de pilotage comptable à courte vue, plus de vision ; moins d’automatismes aveugles, plus de responsabilité politique. La priorité doit être donnée aux formations réellement insérées dans les besoins de l’économie réelle, aux filières qui préparent les métiers d’avenir, y compris aux plus hauts niveaux de qualification. L’alternance ne doit pas être réservée à quelques secteurs estampillés « prioritaires » depuis des bureaux parisiens : elle doit irriguer tout le tissu productif du pays, en lien étroit avec les branches professionnelles et les territoires.
Enfin, nous affirmons qu’aucune jeunesse ne mérite d’être sacrifiée sur l’autel d’ajustements comptables improvisés. La France a besoin de jeunes formés, encadrés, accompagnés, pas d’une génération condamnée à subir les oscillations d’un système instable. En suspendant brutalement les aides à l’apprentissage jusqu’en mars 2026, le gouvernement prend le risque de casser une dynamique fragile mais vertueuse, patiemment construite par les CFA, les entreprises et les familles.
Debout la France se tient aux côtés des centres de formation, des apprentis, des maîtres d’apprentissage et des employeurs qui, sur le terrain, continuent malgré tout à croire en l’alternance. Nous dénonçons cette décision injuste et dangereuse, et nous demandons son retrait ainsi qu’une refonte globale du financement de la formation professionnelle, au service de l’intérêt général, de la souveraineté nationale et de la dignité de notre jeunesse. Retrouvez toutes les propositions du programme présidentiel de Nicolas Dupont-Aignan pour refondre le système de l’enseignement supérieur et de la formation professionnelle : https://www.debout-la-france.fr/projet/enseignement-superieur/ ;
Sources : Previssima https://www.previssima.fr/actualite/aide-a-lembauche-des-apprentis-un-premier-versement-repousse-a-mars-2026.html ;
Lefebvre Dalloz https://open.lefebvre-dalloz.fr/actualites/droit-social/apprentissage-versement-certaines-aides-suspendu-jusqu-mars-2026_f2ba1e733-d481-4e86-942b-9ddc35be4589 ;
Fiche ministérielle : « L’aide aux employeurs qui recrutent en apprentissage », Ministère du Travail, mise à jour du 18 novembre 2025 https://entreprendre.service-public.gouv.fr/actualites/A18570 ;
Décret n° 2025-1031 du 31 octobre 2025 relatif à l’aide unique et à l’aide exceptionnelle aux employeurs d’apprentis (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000052472727






