Rythmes scolaires : La dé-scolarisation de l’école

A Debout la République, nous avons été les premiers à alerter l’opinion, début 2013, sur les dangers de la réforme des rythmes scolaires projetée par Vincent Peillon. Malheureusement, depuis la rentrée de septembre, tout ce que nous annoncions se confirme.

Selon plusieurs études, entre 60 et 80 % des enfants seraient en état d’anxiété et de grande fatigue. On est en train de leur faire perdre tous leurs repères spatiaux et temporels. Les activités périscolaires mises en place promettent de plomber les budgets des communes et d’alourdir les impôts locaux. Sans même parler de l’absence de contrôle de la compétence des animateurs, que dire de la disparité de ces activités, grave atteinte au principe d’égalité républicaine. De nombreuses communes n’ont pas les moyens de proposer autre chose qu’un atelier coloriage, une initiation à la pêche à la ligne ou un atelier jeu de sociétés. Le gouvernement fait la sourde oreille devant l’exaspération des parents, des enseignants et des élus locaux.

Eric Anceau, délégué national en charge de l’école de la République et son équipe qui reçoivent des dizaines de messages et de lettres, non ! Voilà la lettre que nous a adressée Marc Le Bris, auteur de deux best-sellers "Et vos enfants ne sauront pas lire… ni compter !" (2004) et "Bonheur d'école" (2009), qui sait sans doute mieux que nos ministres ce dont il parle.

 

Lettre de Marc Le Bris

L'école française est déjà bien malade des ses réformes passées, mais de celle-ci, elle ne pourra sans doute pas se remettre.

Les critiques s'élèvent de partout contre la réforme dite des rythmes scolaires, la droite, la gauche, les maires de France, les parents, les enseignants, leurs syndicats. Il en ressort une impression brouillonne de réforme bâclée et mal ficelée. La responsabilité individuelle du ministre est mise en avant, son passage en force, la forme brutale et improvisée, trop rapide, le manque de financement… On lui demande de lever le pied, de donner des délais, de mieux financer. Mais personne, ni les syndicats qui en sont les inspirateurs, ni les politiques qui soutiennent ce ministre-ci ou bien son prédécesseur qui préparait la même réforme, n'en tire la conclusion qui s'impose : le retrait de ce texte calamiteux. Pourtant, le rejet massif vient des vrais parents, des enseignants en poste et des élus locaux, parce que ce qui se passe en ce moment dans les écoles est tout à fait invivable.

Qu'est-ce qui rend cette réforme impossible ? Elle semble ne même pas savoir ce qu'elle vise. C'est une  réforme dont le but est de diminuer le temps scolaire, mais qui allonge le temps moyen de présence à l'école. Une réforme dont la forme seule pêcherait ? C'est le fond de cette réforme qui la rend impossible : cette réforme scolaire lutte contre l'école elle-même.

En réalité, et je ne sais pas si le ministre en a même conscience, cette réforme s'attaque de front à l'Instruction. Elle prétend remplacer les sages et patientes heures de lecture et de calcul par des « ateliers » d'activités de colonie de vacances (et je n'ai rien contre les colonies de vacances … pendant les vacances!), ou bien de didactique municipale sur le tri des déchets. Tous les décideurs ont semblé penser, une fois de plus, que n'importe quelle activité ludique, n'importe quel parc de loisirs, apporterait plus de bonheur, et donc plus de progrès intellectuel et moral à l' « Enfant ». L'école scolaire, le temps exigeant qu'on y passe, et leur cortège de lectures, de dictées, de tables de multiplication, et même de notes quelquefois sévères, seraient directement la cause de l' « Échec Scolaire ». Un peu comme si le dentiste était la cause des caries. Alors, depuis quarante ans maintenant, tout le personnel non enseignant du ministère, de ses syndicats, tous les idéologues de l'éducation, les pédagogues et les sociologues, et finalement les enseignants en poste plus ou moins persuadés par ces quarante ans de propagande, tout le monde essaie, sans en avoir vraiment conscience, de supprimer l'école dans l'école. Et ça, c'est la quadrature du cercle … Imaginez un terrain de foot où personne n'a plus vraiment le droit de marquer des buts … Eh, bien c'est l'école d'aujourd'hui, prônée sans dictées, sans lecture alphabétique, sans écriture des lettres en maternelle, sans notes, sans calcul mental … Toutes activités scolaires que beaucoup d'enseignants ont pratiqué malgré tout, parce que c'est tout simplement le plus nécessaire et le plus simple … Parce qu'à l'école, il faut faire l'école.

Et voici que tout à coup, parce que les enseignants n'étaient pas encore assez ludiques, on charge des animateurs plus ou moins dévoués, de pratiquer à leur place, aux heures scolaires de l'an dernier, dans les classes, en en chassant le maître qui y restait pour préparer l'école du lendemain, des « ateliers » d'art de rue ou d'autres groupes d'à peu près n'importe quelle activité hurlante et débridée, au grand dommage des bibliothèques, affichages, coins-sciences et autres coins-lecture si soigneusement fabriqués par les instituteurs. Si soigneusement respectés par les élèves de la classe lorsqu'ils y sont avec leur maîtresse, mais livrés à d'autres, d'une autre classe, animés par un autre jeune adulte, pendant que les élèves de cette classe-ci se retrouvent ailleurs, au milieu d'autres encore, avec encore un adulte de plus, qui dirige (?) « l'activité préau », ou celle du tri des poubelles … C'est une sorte de Disneyland pauvrement improvisé qui entendrait dépasser Marcel Camus.

Les animateurs sont débordés, les enfants fatigués sont exténués de bruit et d'excitation stérile, les enseignants se sentent « virés » de leur classe et de leur légitimité, leurs élèves sont devenus encore plus incontrôlables et les petits de maternelle souffrent très évidemment. Les directeurs d'école passent des heures à l'organisation de listes et d'appels tellement infinis qu'il n'est pas rare qu'une petite fille ou deux soient relâchées à la rue par accident ; quand cette remise à la rue n'est pas directement imposée aux parents même pas rentrés du travail … Les parents affolés courent de-ci, de-là, après des enfants aux horaires scolaires variables ; ils essaient de trouver des arrangements impossibles avec leurs employeurs … Certains -en particulier des enseignants-parents-, cherchent déjà une école privée qui pourrait échapper à ces rythmes infernaux. Et tout ceci pour un coût supplémentaire très lourd, qui sera à terme entièrement à la charge des communes ?

C'est une gabegie, un cirque dangereux et insensé, organisé par idéologie, seulement pour soutenir un ministre qui n'a absolument aucune idée des besoins réels des écoles, qui n'a aucune analyse de ce qui s'y passe, qui a même baptisé « refondation » sa médiocre loi de continuation de ce que l’Éducation Nationale subit de pire depuis quarante ans : la dé-scolarisation de l'école.

Il ne suffit pas d'être socialiste, pour réussir à faire tourner cette maison du diable qu'est devenue l’Éducation Nationale. Il y faut une analyse réaliste et un projet de remise au travail efficace, qui de toute évidence manquent à ce ministre-ci comme ils manquaient à son prédécesseur.

L’École Française n'a pas besoin de réformes sans buts, elle a besoin, grand besoin, urgent besoin, de méthodes de lecture alphabétiques, de calcul mental et de dictées, d'écriture des lettres une à une en maternelle … et d'une méthode générale de recherche d'efficacité qui ne peut passer que par la responsabilisation individuelle -et la liberté pédagogique qui va avec- de chaque enseignant, et plus encore de chaque directeur d'école. Il faut réhabiliter l'Instruction Publique, avant que l’Éducation Nationale ne la vide de son sang. Il faut retirer ce texte. Les considérations politiciennes, les carrières politiques, ou les blessures d'amour-propre ministériel ne pèsent rien devant l'intérêt de nos enfants. Abroger, retirer, annuler, sortir de ce bourbier … Voilà ce qu'il faut faire maintenant, le plus proprement possible.

Marc Le Bris
Instituteur et ancien directeur d’école