Il n’y a pas si longtemps, la France figurait parmi les rares nations capables de maîtriser l’ensemble de la chaîne de transformation des métaux stratégiques, des laboratoires de recherche à la production industrielle. Des institutions prestigieuses comme le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), des entreprises d’avant-garde comme Rhône-Poulenc ou Solvay formaient un écosystème cohérent, fédéré autour d’une ambition commune : comprendre, transformer et produire. L’État, la science et l’industrie avançaient ensemble, portés par une même conviction gaullienne : la souveraineté économique n’est pas un luxe, mais une condition d’indépendance nationale.
Cette continuité, qui liait la recherche publique à l’outil manufacturier, la matière première au produit fini, incarnait un modèle unique : celui d’une France maîtresse de son destin technologique. Ce modèle a été méthodiquement déconstruit au fil du temps, par idéologie, par naïveté, par renoncement. Aujourd’hui, la France découvre, avec stupeur, qu’elle ne raffine plus un gramme de néodyme sans la Chine, qu’elle dépend des États-Unis ou de Taiwan pour ses semi-conducteurs et de l’Allemagne pour une part de ses équipements industriels. L’indépendance, jadis pilier du gaullisme, s’est effritée au profit d’une dépendance mondialisée.
Mais cette situation n’est pas une fatalité. Retrouver la souveraineté industrielle, c’est renouer avec ce qui fit la force et la dignité de la France : la volonté de décider par elle-même de son avenir en refusant la dépendance.
LE TEMPS DE LA MAITRISE : QUAND LA FRANCE PRODUISAIT SON DESTIN
Dans les décennies qui suivirent la seconde guerre mondiale, la France du général de Gaulle fit le choix d’un État stratège, bâtisseur et protecteur. La reconstruction économique fut guidée par un principe simple : une nation indépendante doit contrôler ses ressources, ses infrastructures et ses technologies. L’administration du Plan, les grandes entreprises publiques, les ingénieurs du corps des Mines et de l’armement, les chercheurs du CNRS et du CEA constituaient les piliers de cette ambition nationale.
De l’énergie nucléaire à l’aéronautique, de la chimie aux télécommunications, la France se dota d’un appareil productif intégré. Les industries chimiques, notamment, illustraient cette cohérence : le CEA développait les procédés d’extraction et de séparation, Rhône-Poulenc transformait les éléments en produits à haute valeur ajoutée, et Solvay en assurait la pureté et la qualité finale. Cette chaîne de valeur complète, du minerai au matériau, garantissait à la nation un atout décisif : la souveraineté, de la molécule au marché.
Ce modèle reposait sur trois principes indissociables :
- L’alliance de l’État et de la science : l’investissement public dans la recherche n’était pas une charge, mais un devoir national.
- La continuité industrielle : du laboratoire à l’usine, la production restait française.
- La planification : les grandes orientations économiques étaient décidées selon l’intérêt général, et non dictées par les marchés financiers.
Cette France là croyait en elle-même. Elle croyait que le génie français, celui des ingénieurs, des ouvriers, des inventeurs, pouvait rivaliser avec quiconque. Elle croyait, à juste titre, que produire c’était servir la nation.
LES ANNEES DU RENONCEMENT : QUAND L’IDEOLOGIE PRIT LE PAS SUR LA RAISON
À partir des années 1980 et surtout 1990, une nouvelle doctrine s’imposa, d’abord insidieusement, puis comme un dogme : « l’État n’a pas à diriger l’économie », « l’industrie, c’est du passé », « la mondialisation rend les frontières obsolètes ». Ces slogans remplacèrent progressivement les principes du gaullisme économique. Sous la pression d’une pensée unique libérale, la France s’est peu à peu persuadée qu’elle pouvait continuer d’exister sans produire, qu’elle pouvait se contenter d’être une « nation de services » et de « consommateurs » dans un monde sans frontières, où ses capacités de production sont relocalisées dans des pays en voie de développement aux coûts de production plus faibles, au profit des actionnaires et des marchés financiers, mettant ainsi fin au cercle vertueux de la croissance tel que nous l’avions connu lors des « trente glorieuses ».
Ce tournant idéologique fut dévastateur. Convaincus que « l’industrie est sale », les décideurs politiques ont fermé les mines, cédé les laboratoires, bradé les entreprises stratégiques. La chimie française, jadis fleuron de la recherche et de la production, fut démembrée : les branches non pharmaceutiques de Rhône-Poulenc vendues à vil prix, les divisions de chimie avancée liquidées, et les savoir-faire dilués au gré des fusions et des rachats. Le tissu industriel, patient et cohérent, s’est brisé.
Pendant ce temps, la Chine, avec lucidité et constance, planifiait son ascension industrielle. Dès les années 1980, Pékin subventionnait massivement ses filières de terres rares, soutenait la recherche, et fixait des objectifs clairs : devenir le centre mondial de la transformation des métaux critiques. Tandis que la France démembrait ses structures de souveraineté et d’indépendance, la Chine bâtissait les siennes.
Fait marquant, en 2011, lorsque la Chine imposa ses premières restrictions à l’exportation de métaux rares, la France découvrit avec stupeur qu’elle n’avait plus les moyens de raffiner un seul gramme de néodyme sans Pékin ! Le pays qui, trente ans plus tôt, maîtrisait l’ensemble de la chaîne de production, se retrouvait dépendant d’un pays étranger pour des composants essentiels à son industrie militaire, nucléaire et électronique.
Ce renoncement n’était pas qu’économique : il était symbolique. Il signait l’abdication d’une nation qui avait cessé de penser sa puissance, qui croyait pouvoir survivre sans produire, se défendre sans usines, innover sans chercheurs. La désertion du réel, le symbole même d’une idéologie politique faible et déconnectée.
LA DEPENDANCE, UN NOUVEL ESCLAVAGE ECONOMIQUE
La dépendance ne se limite pas aux métaux rares. Elle touche aujourd’hui toutes les strates de l’économie française : dépendance énergétique, alimentaire, numérique, industrielle. Les masques sanitaires importés lors de la crise Covid, les médicaments produits en Inde, les batteries chinoises ou les logiciels américains qui pilotent nos données stratégiques sont autant de symboles d’une nation désarmée.
Cette situation est le fruit d’un long abandon de la souveraineté économique au profit de la logique du coût immédiat. En préférant acheter à bas prix ce que nous pouvions produire, nous avons sacrifié nos savoir-faire sur l’autel de la rentabilité à court terme. Et dans cette illusion comptable, nous avons échangé la puissance contre la dépendance, la sécurité contre la vulnérabilité.
Dans un monde globalisé, la vertu se paie cher. Vouloir être « exemplaire » en externalisant ses pollutions, en fermant ses usines, en renonçant à la planification au nom de l’écologie ou du libre-échange, revient à se rendre dépendant de pays qui, eux, ne s’imposent aucune contrainte. La France s’est ainsi rendue vulnérable au moment même où elle croyait se purifier.
Cette dépendance est aussi morale, elle traduit la perte du lien entre travail, nation et production. Une nation qui ne produit plus dépend du travail des autres, et donc de leurs décisions. C’est une perte de souveraineté qui précède toujours la perte de liberté.
LA LEÇON GAULLISTE : L’INDEPENDANCE N’EST PAS UN REVE, C’EST UNE POLITIQUE
Le général de Gaulle l’avait parfaitement compris : une France indépendante doit s’appuyer sur trois piliers (1) la souveraineté politique (2) la souveraineté militaire (3) la souveraineté économique. Sans la troisième, les deux autres ne tiennent pas. Le gaullisme n’était pas seulement une vision politique, c’était une méthode pour la France et sa grandeur : planifier, produire, et décider pour soi-même.
Ce que la France doit retrouver aujourd’hui, ce n’est pas la nostalgie d’une époque révolue, mais la volonté qui l’animait. Le gaullisme économique reposait sur la conviction que l’État doit être stratège, non spectateur. Qu’il doit protéger sans étouffer, orienter sans diriger, mais toujours garder la maîtrise des leviers essentiels : l’énergie, la défense, la recherche, l’industrie.
Cette approche ne s’oppose pas à l’économie de marché : elle la cadre, la hiérarchise, et la subordonne à l’intérêt national : l’intérêt de la France et du peuple Français. Elle repose sur une idée simple mais révolutionnaire dans le contexte actuel : la France doit décider seule de ce qui est essentiel à sa survie.
C’est cette philosophie que Debout la France et son président Nicolas Dupont-Aignan défendent avec constance : la réhabilitation de la puissance publique au service de la nation productive, la protection des filières stratégiques, et la restauration d’une planification industrielle digne de ce nom.
LES CHEMINS DU REDRESSEMENT : RELOCALISER, PLANIFIER, PROTEGER ET TRANSMETTRE
Retrouver la souveraineté industrielle n’est pas une utopie, c’est un devoir historique et une question de survie. Cela exige un cap clair, des moyens cohérents et une volonté politique sans faille. Cinq priorités s’imposent :
- Relocaliser les filières stratégiques
En identifiant, à l’échelle nationale et européenne, les secteurs dont la dépendance met en péril notre autonomie : métaux rares, énergie, électronique, médicaments, agriculture. Ces filières doivent bénéficier d’un statut d’intérêt national, avec un soutien direct de l’État, une protection contre le dumping étranger, et des obligations de production sur le territoire.
La relocalisation ne consiste pas à replier la France sur elle-même, mais à garantir sa sécurité. Une souveraineté ouverte, mais non naïve ou de soumission.
- Planifier l’investissement public
La planification doit redevenir un outil stratégique. Elle ne signifie pas la bureaucratie, mais la coordination des moyens vers un objectif : indépendance énergétique, reconquête industrielle, réarmement scientifique. L’État doit redevenir le pilote des grands programmes d’avenir : hydrogène, microélectronique, recyclage des métaux, spatial, biotechnologies.
C’est par la cohérence que naît la puissance, non par la dispersion.
- Réformer l’Europe pour protéger l’industrie
L’Union européenne, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, empêche toute politique industrielle souveraine : interdiction des aides d’État, ouverture sans réciprocité, dogme de la concurrence. La France doit exiger ou imposer la possibilité de soutenir ses champions nationaux et de protéger ses marchés stratégiques.
Une Europe des nations, coopérative mais non soumise, doit remplacer le marché unique sans frontières qui a détruit nos usines et notre savoir-faire.
- Investir dans la formation et la recherche
Aucune souveraineté n’est possible sans transmission. Il faut redonner aux métiers techniques, à la recherche appliquée, à l’ingénierie et à la formation professionnelle la place qu’ils méritent. Le pays doit valoriser la culture du concret, du travail bien fait, du savoir-faire manuel et scientifique.
La grandeur industrielle est d’abord une grandeur humaine.
- Réhabiliter la valeur du travail productif
Le retour à la souveraineté suppose un changement de mentalité. Produire c’est servir. L’ouvrier, le technicien, l’ingénieur ne sont pas des vestiges du passé, mais les artisans de notre avenir.
La société française doit renouer avec la fierté de fabriquer, d’innover, de bâtir.
VERS UNE NOUVELLE INDEPENDANCE
L’histoire industrielle de la France est faite d’ascensions, de crises et de renaissances. Ce qui a été perdu peut être reconquis, c’est une question de vision et de volonté. Le monde de demain sera celui des nations capables de maîtriser leurs chaînes de valeur, de produire leurs propres technologies, de sécuriser leurs ressources. Dans cette compétition mondiale, l’indépendance n’est pas un luxe : c’est une question de survie.
Retrouver la souveraineté industrielle, c’est renouer avec la promesse républicaine de liberté et d’égalité. Car un peuple dépendant n’est plus libre, et un pays désindustrialisé ne peut garantir l’égalité des chances. C’est redonner à la jeunesse française la perspective d’un avenir construit ici, par elle et pour elle.
LE CHOIX DE LA GRANDEUR
La France s’est jadis faite par sa volonté d’être elle-même, par la conviction que rien n’était impossible à un peuple uni autour d’un projet commun. L’indépendance industrielle n’est pas un mythe : c’est le cœur battant de la souveraineté nationale. Elle exige le courage de rompre avec les dogmes du court terme, de refuser la soumission à la finance mondialisée, de croire à nouveau en notre génie collectif.
Il est temps de retrouver la voie tracée par ceux qui firent la grandeur du pays : la voie de la maîtrise, de la dignité, du travail et de la fierté.
Retrouver la souveraineté industrielle c’est, au fond, retrouver la France elle-même.