Quelques jours à peine après la diffusion par la télévision chinoise d’une vidéo montrant les incidents de frontière meurtriers qui ont opposé soldats chinois et indiens dans la région du Ladakh en juin dernier, le commandant chinois de la région militaire du sud-Xinjiang et celui du 14e corps d’armée indien ont publié samedi 20 février un communiqué commun annonçant l’aboutissement d’une longue série de négociations et le retrait de leurs forces respectives du secteur disputé du lac Pangong.
Le texte précise que « les deux parties s’accordent pour suivre le consensus initié par leurs chefs d’États, […] stabiliser et contrôler la situation sur le terrain, oeuvrer […] pour une résolution concertée des questions demeurant en suspens de sorte à maintenir la paix et la tranquillité dans la zone frontalière. »
Il intervient dans un contexte international complexe de guerre commerciale entre la Chine d’un côté, les États-Unis et l’Australie de l’autre, alors que ces deux derniers ont entamé un rapprochement stratégique avec l’Inde depuis plusieurs années pour des raisons évidentes.
Bien qu’ayant fait la promotion d’une approche moins conflictuelle lors de la campagne présidentielle, force est de constater que Joe Biden poursuit depuis un mois la politique chinoise de Donald Trump, le nouveau Secrétaire d’État Antony Blinken allant même jusqu’à désigner la Chine comme une « menace stratégique » pour les États-Unis. C’est donc bien à une nouvelle offensive américaine tous azimuts pour contrer l’hégémonie chinoise que l’on assiste aujourd’hui. Seule différence avec la précédente administration : la volonté assumée d’impliquer les alliés de l’Amérique dans cette nouvelle guerre froide.
La France est, à ce titre, déjà mise à contribution sur le terrain militaire. Le ministre de la Défense Florence Parly a en effet annoncé au début du mois que le sous-marin nucléaire d’attaque Émeraude et son bâtiment de soutien La Seine venaient de patrouiller en mer de Chine méridionale. Le porte-hélicoptères Tonnerre et la frégate furtive Surcouf ont, quant à eux, appareillé jeudi 18 février pour la mission Jeanne d’Arc 2021 qui les conduira jusqu’au Japon, tout en participant au passage à des exercices internationaux à Djibouti où la Chine a inauguré sa première base militaire permanente à l’étranger en août 2017, en Inde ainsi qu’au large de la Corée du Nord.
Le réchauffement sino-indien s’inscrit donc dans la tentative de riposte globale de la Chine exprimée par le président Xi Jinping en ouverture du Forum économique mondial et mise en oeuvre à travers des manoeuvres dans l’espace maritime et aérien de Taïwan, une répression accrue contre les militants prodémocratie à Hong Kong ou une menace de bloquer les exportations de terres rares dont elle est l’un des seuls producteurs au monde.
L’Occident commence à réaliser l’incroyable naïveté dont il a fait preuve ces trente dernières années en laissant son industrie se délocaliser en Chine et des transferts de technologies irresponsables se réaliser au profit de l’Empire du Milieu. Pour autant, basculer avec un égal aveuglement dans une politique systématiquement hostile serait tout aussi improductif que dangereux.
La France n’a rien à gagner à un alignement inconditionnel sur la position d’États-Unis qui ne craignent pas eux-mêmes de se livrer au pillage de son industrie et de ses brevets. Elle a, en revanche, ses propres intérêts à défendre et un rôle de médiateur central à jouer dans la résolution de ce qui s’annonce comme l’un des conflits majeurs du XXIe siècle.
Jean-Marc Chipot
Délégué national adjoint aux affaires étrangères
Secrétaire départemental des Alpes-Maritimes
BIBLIOGRAPHIE
1. https://francais.rt.com/international/84023-diffusion-dimages-d-affrontement-mortel-soldatschinois-indiens-himalaya
2. https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3122572/india-and-china-hold-freshround-border-talks-after-smooth
3. https://www.20minutes.fr/monde/2982371-20210221-inde-chine-parachevent-desengagementtroupes-frontiere-himalayenne
4. https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3122370/us-china-tensions-joe-bidensignals-tougher-line-beijing-key
5. http://www.opex360.com/2021/02/09/le-sous-marin-nucleaire-dattaque-emeraude-sestaventure-en-mer-de-chine-meridionale/?fbclid=IwAR3d4Dy7FQNB6OVM9yRw-XgPhhM819Ol34GJsZOwAT1IKUz5UtdUuPWmnq8
