Pisa, les coupables sont rue de Grenelle

Cette semaine le magazine "Le Point" publie une tribune d'un homme qui aurait sans doute pu être classé parmi les néo-cons une semaine avant. Dans son dernier papier, Jean-Paul Brighelli livre en effet une analyse sans concessions du système éducatif français. Si une majorité semble découvrir avec stupéfaction le retard des élèves français, Jean-Paul Brighelli ne se fait aucune illusion sur les causes de la catastrophe révélée par l'étude PISA et rejoint en tout point l'analyse de DLR.

 

Tribune de Jean-Paul Brighelli dans le magazine Le Point : Pisa, les coupables sont rue de Grenelle

Ébahissement général : nos collégiens, à 15 ans, ne maîtrisent pas grand-chose. La France coule au fond du classement Pisa, mais creuse encore. Effarement, colère du ministre, les journalistes, anxieux, interrogent tous les experts – ils vont jusqu'à ranimer Philippe Meirieu, le pape de la pédagogie constructiviste1 que l'on croyait englouti corps et biens dans la débâcle d'EELV, dont il inspire la ligne pédagogique.

Il faudrait être sérieux et cohérent : ce ne sont pas les Cassandre qui ont manqué. En 2004 Marc Le Bris publiait, prophétique : Et vos enfants ne sauront plus lire ni compter – nous y voilà. En 2005, Natacha Polony sortait Nos enfants gâchés – au moment même où votre serviteur écrivait La fabrique du crétin. Tir groupé, et ça ne s'est pas arrêté là. Nous savions, et toute la France savait.

Les seuls qui ne savaient pas, qui ne voulaient pas savoir, c'étaient les ministres successifs, ou plus exactement leurs administrations. Un ministre ne fait rien contre l'avis de ses bureaux, de cette foule de conseillers où la médiocrité obscurcit toujours la capacité. Et installés au ministère, dans les rectorats, dans l'Inspection générale, par les gouvernements successifs depuis les années 1980, les complices du mauvais coup porté à l'école de la République prospéraient.


Le novlangue des constructivistes

Les adolescents aujourd'hui testés par Pisa sont nés à la fin des années 1990. Ils sont arrivés au monde en même temps que la gauche revenait au pouvoir. Joli coup. Jospin avait promulgué en 1989 (que pensent les mânes de Condorcet de cet affront infligé à l'école qu'il avait voulu construire en pleine célébration du bicentenaire de la Révolution ?) une loi qui plaçait l'élève "au centre du système". Peu de temps après, il inventait les IUFM – sur les conseils avisés de Philippe Meirieu. Mettons cinq ou six ans pour former une nouvelle génération de maîtres imbus des principes constructivistes… Et une fois revenu au pouvoir (1997), Jospin a imposé, via Allègre d'abord puis Jack Lang ensuite, les billevesées dont s'inspirait sa loi. Fin de partie, comme dirait Beckett.

Petit résumé à l'usage des lecteurs non initiés à la novlangue des Big Brothers de l'éducation. Dans la pensée constructiviste, qui a régné sans partage de 1997 à aujourd'hui (non, j'exagère : quelques instituteurs ont renoncé à Satan dans l'intervalle…), l'enfant construit tout seul ses propres savoirs, chacun a les capacités d'un petit Pascal, retrouvant tout seul, à 10 ans, les douze premiers principes d'Euclide – tous géniaux ! Le maître est à son écoute, il ne faut pas contraindre l'enfant à absorber des savoirs qui lui seraient étrangers, lui qui par définition ne sait rien – comme c'est merveilleux, un enfant qui ne sait rien et qui en reste là…

Désolé d'avoir l'air d'en revenir aux calendes grecques. Les élèves testés par Pisa ont été nourris de ces calembredaines. Le plus étonnant, c'est qu'il en reste quelques-uns qui répondent avec pertinence… Les gamins d'aujourd'hui seront testés dans dix ans. Et il y a fort à parier que, sous réserve que l'on n'aura pas la chance d'avoir rue de Grenelle un ministre compétent, ils seront encore plus dégradés que les cobayes du dernier test.


Les pauvres sacrifiés

Mais justement, clament les imbéciles, le scandale est bien là ! Quelques-uns sont plus savants (ils le sont même de plus en plus, tant l'écart s'accroît entre 5 % de gosses correctement nourris de savoir et 20 % de malheureux sous-alimentés), et tant d'autres en savent de moins en moins ! Quelques-uns, sales filles et fils de bourgeois (il y a dans le lot quelques individus qui parviennent à se hisser dans les filières les plus avantageuses – mais il leur en faut, du génie !) avalent encore des savoirs variés. Surtout quand la famille veille au grain et, de devoirs du soir en voyages linguistiques, les gave consciencieusement.

Je n'utilise pas cette métaphore alimentaire au hasard. Toutes les statistiques – et l'observation de tous les jours – tendent à démontrer que les classes (c'est marrant, hein, le double sens social et pédagogique de ce mot…) les moins favorisées économiquement sont moins favorisées pédagogiquement. Que les 18 % d'analphabètes à l'entrée en sixième, qui forment le gros de la troupe des 160 000 élèves qui sortent, fin troisième, du système scolaire sans rien dans les mains ni dans la tête, et, à terme, rien dans la poche, sont issus des milieux les plus défavorisés – immigrés ou non : quand on est pauvre, on est pauvre avant d'être quoi que ce soit d'autre.

Mais il arrive alors que l'on se raccroche à des identités de substitution : l'ignorance entretenue en classe fait le lit des extrémismes. Les ignorants incendient les bibliothèques – Victor Hugo a écrit sur le sujet un poème saisissant.

 

Mais comment font les Chinois ?

Mais comment se fait-ce ?

Plus on en demande à un enfant, plus il en ingurgite. Les petits Chinois, qui caracolent, comme toute l'Asie du Sud-Est, en tête des classements Pisa (et, à 12 ans, taillent des croupières à nos élèves de terminale aux Olympiades de mathématiques : leur programme, à cet âge, est équivalent à celui du niveau licence ici), sont tout à fait capables de comprendre des concepts complexes, pendant que l'on se tâte, ici, pour savoir si la division doit être commencée en CE2 (si !) ou en CM1 (souvent).

Tout est question de volonté nationale – et pédagogique. Voilà bien longtemps que nous avons lâché la rampe. Et ceux qui en paient le prix le plus lourd, ce sont ceux qui n'ont pas, à la maison, les relais indispensables que l'école n'assure plus. Il n'est pas scandaleux que des parents s'occupent de leurs enfants ! Mais il est tout à fait abominable que l'école ne s'occupe pas mieux des enfants de ceux dont les parents ne peuvent assurer la surveillance des devoirs du soir – que l'on a tendance à supprimer, au royaume du Big Brother pédago ! Tout comme les leçons sont désormais taxées de "psittacisme" – ils ont appris un mot savant, ils le ressortent dès que possible.


Une question de volonté

Oui, il faut mettre le paquet sur les enfants les plus démunis – parce qu'il n'y a pas d'enfants bêtes, il n'y a que des gosses dépossédés. Oui, il faut permettre à tous les élèves d'aller au plus haut de leurs capacités ! Et ce n'est pas en confinant les plus démunis dans des ghettos scolaires, ces zones d'exclusion programmée que sont les ZEP, que l'on arrivera à redonner à des gosses aujourd'hui incités à rester sauvageons le goût de l'étude. Aujourd'hui, "intello" est l'injure suprême dans les cours de récréation des collèges les plus perdus. Aujourd'hui, les bons élèves sont harcelés par des morveux à qui l'on a fait croire qu'ils étaient des princes quand on en a fait des gueux.

Alors, que faire ? Ma foi, je serais assez partisan du school busing, tel qu'il a été pratiqué aux États-Unis pour les Noirs à la fin de la ségrégation : amenons les enfants des cités (ou des communes rurales pauvres) dans des établissements sérieux, sur la base de la tolérance zéro. Comme je serais partisan d'une remise à plat de la formation des maîtres – Vincent Peillon est en train de recycler, dans les ESPE, tous les bras cassés des IUFM, et on laisse Philippe Meirieu affirmer sur France Inter que tout est question de pédagogie, quand c'est en fait question de volonté et de transmission des savoirs.


Faites-les taire !

J'entends les sociologues, brandissant Bourdieu comme autrefois les maoïstes brandissaient le petit livre rouge, clamer que l'école reproduit les inégalités… Primo, Bourdieu écrivait dans les années 1960 : Les héritiers, c'est en 1964 – le Moyen Âge -, et il a écrit La reproduction juste après 1968 : on ne peut pas dire, constamment, que les publics ont changé et persister à se réclamer d'une étude obsolète. La bourgeoisie cherche à donner le mieux à ses enfants – et le trouve dans les grands lycées de centre-ville, ou dans des écoles privées de qualité. Qui le lui reprocherait ? Le prolétariat (hé, les idéologues du PS, savez-vous au moins qu'il existe toujours un prolétariat, et qu'à force de l'abandonner aux pédagogues fous, ce prolétariat ne vote plus pour vous ?) fait aussi ce qu'il peut – mais il ne peut pas grand-chose, et il confie innocemment ses enfants à des structures scolaires aberrantes.

Non que dans le détail, les collègues des écoles, des collèges ou des lycées de ZEP soient mal disposés : ils prodiguent des trésors d'imagination pour remettre sur les rails une population scolaire dont on nous dit par ailleurs qu'il faut la laisser s'exprimer – mais que voulez-vous donc qu'ils expriment, à part de la violence, puisqu'on ne leur donne même pas le langage ? Ni les maths, nous dit Pisa.

Les questions posées par l'enquête internationale valent ce qu'elles valent, mais le résultat est là : les politiques mises en place dans les années 1980-1990 ont largement fait la preuve de leur nocivité – et leurs thuriféraires veulent nous faire croire que c'est parce qu'on ne les a pas totalement réalisées. Ça foire, mais c'est parce qu'on n'est pas allé au bout de l'expérimentation, que les collèges ne sont pas assez uniques, les méthodes de lecture encore trop alphabétiques, et qu'on prétend encore enseigner quelque chose au lycée.
Et que, scandale des scandales, il existe des classes prépas où 30 % d'enfants défavorisés trouvent un aliment intellectuel adéquat – supprimons les prépas !

Il n'y a donc personne pour faire taire ceux qui ont ruiné et persistent à ruiner l'école de la République ?