À notre avis, la première mission de l’École est d’instruire, tandis que l’éducation devrait relever essentiellement des familles. Cependant, l’École est aussi un lieu où se modèlent les comportements sociaux. À ce titre, elle ne peut tolérer des attitudes racistes, sexistes, homophobes, xénophobes, ou plus généralement toute attitude de rejet en raison de l’appartenance à une catégorie donnée. Elle peut même être amenée lorsque les circonstances l’exigent à mettre en place des actions éducatives en milieu scolaire.
C’est largement le cas aujourd’hui, avec le concours de nombreuses associations extérieures à l’École. Malheureusement, ces interventions ne présentent pas toutes les garanties de neutralité politique et philosophique, comme nous allons pouvoir en juger.
Quelques exemples
« Vivre ensemble, c’est vivre en société dans le respect de nos différences et de la diversité de nos milieux sociaux et culturels. C’est se défaire des peurs, préjugés et stéréotypes qui nourrissent racismes, discriminations et replis sur soi. Mais le chemin de ce vivre ensemble n’est pas toujours facile: racontez-le et exprimez-vous à travers un court métrage. Faire un film c’est aller à la rencontre de l’autre ! ». C’est ce qu’on peut lire sur le flyer distribué dans les collèges et lycées des régions Aquitaine et Occitanie pour le concours «Le goût des autres» (14e édition).
Ce concours organisé avec la participation des Rectorats de Bordeaux, Limoges, Montpellier, Poitiers et Toulouse bénéficie du soutien de la DILCRAH (Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT) créée sous Nicolas Sarkozy et dotée d’un budget de 6,2 M€ en 2018. Il consiste à impliquer des collégiens ou des lycéens dans l’écriture de scénarios pour des court-métrages.
Réflexions racistes d’une pensionnaire d’EPHAD à une salariée noire (« Ces petits riens », 2018), Discriminations à l’embauche («Un candidat idéal», 2016), Arabe travailleur et «Gaulois» feignant («Amsterdam», 2006), etc … les extraits de ces films que nous avons pu visionner sont tous plus édifiants les uns que les autres. Parfois avec plus de « subtilité » dans le message, comme dans «Allez, dégage!» (2016) où un Valentin « de couleur » harcèle Nazim, malheureux réfugié syrien.
Dans un autre registre et à l’occasion d’une campagne de lutte contre l’homophobie et la transphobie dans les collèges et les lycées lancée le 28 janvier, le ministère de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse recommande certaines associations dans un guide d’accompagnement à destination des personnels. Les associations figurant dans ce guide interviennent depuis plusieurs années en milieu scolaire. Par exemple, l’association «SOS homophobie» a «pu sensibiliser près de 27000 élèves dans 1150 classes de collèges et lycées».
Comme d’autres associations féministes partout en France, « Femmes solidaires» intervient dans de nombreux lycées et collèges du bassin d’Arcachon, «consciente de la nécessité d’interroger la jeunesse sur les valeurs que nous défendons et de lui faire prendre conscience de l’histoire des droits des femmes avec les combats menés par les générations antérieures».
Enfin, comme l’indique le site du ministère de l’Éducation Nationale, « le mouvement Européen-France est une association qui regroupe les personnes et les associations qui souhaitent s’engager en faveur de la construction européenne dans une perspective fédérale ». Cette association est officiellement habilitée à intervenir dans les établissements scolaires où elle assure la promotion de la « citoyenneté européenne ».
Observons que les quatre exemples précédents sont conformes à la volonté politique du Parlement européen d’introduire dans les écoles, collèges et lycées des actions « éducatives » sur des thèmes tels que la « déconstruction des stéréotypes de genre« , « promouvoir l’éducation interculturelle« , « inclusion d’informations objectives concernant les questions LGBTI dans les programmes scolaires« , « éducation positive à l’Europe« . Cette volonté politique a été parfaitement relayée par les différents gouvernements français, avec une accélération sous MM Hollande et Macron.
Des associations qui sont loin d’être neutres idéologiquement et politiquement
Lutter contre les discriminations est parfaitement légitime et l’École doit être exemplaire à cet égard. Cependant, la façon dont cette lutte est menée actuellement pose quelques questions.
En premier lieu, les associations qui interviennent en milieu scolaire défendent des options idéologiques ou politiques qui sont loin d’être partagées par l’ensemble des Français.
Reprenons les exemples précédents :
– Comme le montre par exemple la vidéo d’un débat sur le film « Partir », certains intervenants du concours «Le goût des autres» sont des militants pro-immigration en lien avec diverses associations comme la CIMADE.
– Le site «jeunes» de SOS homophobie http://www.cestcommeca.net/ recommandé comme ressource pédagogique dans le guide d’accompagnement du ministère de l’Éducation Nationale présente des «ressources» dont il n’est pas certain qu’elles soient du goût de tous les parents.
– L’association «Femmes solidaires» déclarait en avril 2017 que les femmes «seront les premières victimes des politiques de préférence nationale, sexistes et racistes de Marine Le Pen». Sexiste? Comprenne qui pourra, mais le moins que l’on puisse dire est que cette association (issue de l’Union des Femmes Françaises qui fut longtemps liée au Parti Communiste) n’est pas neutre politiquement.
– Enfin, le « Mouvement Européen » (dont Pierre Moscovici, actuel commissaire européen, fut l’un des présidents) milite en faveur d’une Europe fédérale, donc supranationale. Cette position politique est loin d’être partagée par tous les Français, même ceux qui – comme nous – sont attachés à la construction européenne.
Les trois associations citées à titre d’exemple («SOS homophobie», «Femmes solidaires» et le «Mouvement Européen») ont appelé à voter contre Marine le Pen au second tour de l’élection présidentielle, mais elles sont sont bien loin de constituer des cas isolés. Ainsi, de nombreuses associations agréées par le ministère de l’Éducation Nationale et intervenant dans les écoles (directement ou en élaborant des «kits pédagogiques») ont donné la même consigne de vote. Pour n’en citer que quelques-unes: l’ADOSEN, la CIMADE, les Jeunes Européens-France, la Ligue des Droits de l’Homme, la Ligue de l’enseignement, la LICRA, le MRAP, Ni Putes Ni Soumises, SOS racisme, etc… D’autres comme les Maisons de l’Europe se prétendent «indépendantes des partis politiques», ce dont il est permis de douter puisque la Fédération Française des Maisons de l’Europe (dirigée par une ancienne ministre socialiste puis par une députée socialiste) est affiliée au Mouvement Européen – France précité.
Peut-être les militants de ces associations sont-ils persuadés de faire preuve de neutralité politique et philosophique ? Sans doute n’est-il pas venu à l’idée de nos cinéastes bien intentionnés de suggérer des scénarios de court-métrages tels que «Cage d’escalier»: récit de la journée d’un «Gaulois», seul représentant autochtone dans une HLM de banlieue ; «La jupe»: tribulations d’une jeune fille dont la jupe a le malheur de ne pas couvrir les chevilles, ou bien encore encore «Sale facho»: histoire (véridique) d’une lycéenne harcelée sur les réseaux sociaux en raison de ses opinions sur l’élection présidentielle. Non, de tels scénarios seraient assurément refusés, et notre propos n’est d’ailleurs pas de remplacer une propagande par une autre. Pourtant, ces scénarios auraient parfaitement pu illustrer des cas de discrimination au titre de la nationalité, de la religion ou des opinions politiques, au sens de l’article 225-1 du code pénal.
Question de point de vue, et c’est bien là toute la question.
On peut douter de l’adhésion de tous les parents à ces interventions au vu de témoignages que nous avons reçus. Par exemple, le père d’un collégien à qui son professeur annonçait «vous allez avoir la chance de rencontrer des migrants et de leurs poser des questions» nous rapporte que son fils a été convoqué chez le principal et puni pour avoir répondu «je ne vois pas ou est la chance dans cette rencontre». La question posée par le collégien à ces deux «réfugiés» équipés d’Iphones et de baskets «Nike» n’a sans doute pas arrangé ses affaires, puisqu’il leur a demandé: «pourquoi fuir votre pays au lieu de rester et de le défendre ?». Remarque et question me paraissaient pourtant très pertinentes.
Jules Ferry doit se retourner dans sa tombe, lui qui écrivait aux instituteurs en 1883: «Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire.»
En l’occurrence, il semble que cela pourrait concerner beaucoup plus de parents qu’un seul «père de famille».
Des méthodes contestables
Enfin, les méthodes «ludiques» utilisées par les associations sont loin d’être anodines. En effet, en amenant un collégien ou un lycéen à écrire un scénario ou bien en le faisant participer à une pièce de «théâtre-forum», on le conduit à poser un premier acte (dans un cadre imposé qui, nous l’avons vu, n’est pas neutre), autrement dit à «s’engager», mais dans une direction qui lui est suggérée. Plusieurs psychologues ont démontré l’efficacité des techniques de manipulation fondées sur la «psychologie de l’engagement» fondée par Kiesler en 1971 et vulgarisées en France par quelques ouvrages tels que «La soumission librement consentie» (Joule et Beauvois, PUF 2009). De nombreuses associations utilisent pour leurs interventions ce «théâtre-forum» inventé par l’homme de théâtre brésilien d’extrême-gauche Augusto Boal. On aura une idée de l’utilisation du théâtre-forum par l’Union Européenne dans nos écoles en visionnant cette courte vidéo: http://test.agence-erasmus.fr/video/128/les-ambassadeurs-erasmus-de-la-citoyennete . On est frappé dans la plupart de ces vidéos du contraste entre la difficulté qu’ont les jeunes (et parfois leurs «formateurs») à s’exprimer dans un français correct et les questions très politiques dont on prétend les faire débattre «librement». Images saisissantes d’une école qui a ramené l’instruction à son plus petit niveau possible, mais qui veut «éduquer» des jeunes rendus plus malléables.
Des inquiétudes pour l’avenir
Au delà des faits rapportés dans cet article, nous ne pouvons que mettre en garde contre tous les projets qui visent à mettre les jeunes sous la coupe d’associations politisées au prétexte d’«engagement». Du «Service Volontaire Européen» au «Service Civique» et à «La France s’engage» créée en 2016 sous François Hollande, le risque est grand de voir une part croissante de la jeunesse manipulée sous des prétextes humanitaires. De nombreux textes européens incitent les États à aller dans ce sens, notamment après la déclaration de Mr Juncker à Göteborg le 14 novembre 2017: «Alors que nos valeurs et nos démocraties européennes sont mises à l’épreuve par le réveil des forces populistes sur notre territoire et ailleurs ou par la diffusion de fausses nouvelles et la manipulation de nos réseaux d’information, le moment est venu pour les dirigeants européens et les institutions de l’UE de réagir… Soixante ans après la signature des traités de Rome, il reste essentiel de renforcer notre identité européenne. Le meilleur moyen d’y parvenir, c’est par l’éducation et la culture.»
Alors que le monde de la culture et les médias est déjà largement sous contrôle, trop de lois ou de faits récents nous rapprochent d’une sorte de dictature de la bien-pensance sous l’apparence de la démocratie. Au vu de ce qu’elles font déjà à l’École, il serait grave que les associations politisées obtiennent le droit de prendre en main l’ensemble de la jeunesse dans le cadre d’un «Service National Universel» obligatoire.
Nos propositions
Nous voudrions pouvoir dire comme Jean Zay dans sa célèbre circulaire de 1936: «Tout a été fait dans ces dernières années pour mettre à la portée de ceux qui s’en montrent dignes les moyens de s’élever intellectuellement. Il convient qu’une expérience d’un si puissant intérêt social se développe dans la sérénité. Ceux qui voudraient la troubler n’ont pas leur place dans les écoles qui doivent rester l’asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas».
Ceux-là mêmes qui invoquent à tout propos «l’École de la République» ont trahi cet idéal en ne respectant pas les opinions politiques et philosophiques de chacun et en transformant nos écoles en lieux de propagande.
Les associations politisées et plus généralement toutes celles qui professent des opinions discutables n’ont pas leur place dans l’École, sous quelque prétexte que ce soit.
Dans ce but, il faudra mettre en place un processus transparent d’agrément par le ministère de l’Instruction Publique. Chaque association qui souhaiterait obtenir un agrément lui permettant de participer à des activités éducatives dans un établissement scolaire devra figurer sur le site internet du ministère. L’agrément ne pourrait être accordé qu’à l’issue d’une période probatoire de quelques mois. Si à un moment quelconque la neutralité de cette association était contestée par un particulier ou une autre association, une procédure contradictoire serait engagée et pourrait aboutir au refus d’agrément, ou bien au retrait de l’agrément si celui-ci a déjà été accordé.
L’École doit bien entendu être exemplaire en matière d’égalité hommes-femmes et ne saurait admettre le moindre acte ou propos raciste, antisémite, homophobe ou discriminatoire.
Elle le sera d’abord dans l’action quotidienne de tous ses personnels qui veilleront à ce que les règles enseignées dans les cours d’Instruction Civique soient mises en pratique.
Si cela ne suffisait pas, des campagnes éducatives pourront être envisagées au niveau national ou local, mais ces actions devront être menées par des personnels relevant du ministère et soumis à l’obligation de neutralité. Toute association (même non agréée) pourra participer aux appels d’offres ouverts en vue de l’élaboration des supports nécessaires. (audiovisuels ou autres), et la réalisation d’un support sera suivie d’une phase d’évaluation publique au cours de laquelle toutes les associations et les familles pourront s’exprimer, ceci afin d’aboutir à un large consensus avant toute diffusion auprès des élèves.
Alors l’École que nous voulons libérer de ceux qui prétendent «éduquer» nos enfants pourra se consacrer sereinement à sa mission et former des citoyens libres et éclairés, c’est-à-dire instruits de leur langue, de leur histoire et plus généralement de tout ce qui permet de développer leurs facultés de raisonnement.
Une École exigeante pour tous afin de restaurer et de porter à son plus haut niveau l’idéal de l’Instruction Publique énoncé par Condorcet qui disait déjà en 1792: «La première condition de toute instruction étant de n’enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique».
Marc Chapuis
Délégué National à l’Instruction Publique