Les universités françaises boiront le calice jusqu’à la lie

 

Il est un mouvement dont on ne parle quasiment pas parce qu’il est moins spectaculaire que celui de la SNCF, mais qui porte sur un enjeu ô combien important : celui qui mobilise en ce moment même universitaires et étudiants. L’Université qui n’a jamais été une priorité nationale est aujourd’hui en complet effondrement, malgré ou à cause de réformes mensongères, néfastes et adoptées en catimini pour ne pas faire de vagues.

En ce domaine, les gouvernements changent, mais les mauvaises habitudes demeurent. La loi LRU1-Pécresse était passée un 10 août et la loi LRU2-Fioraso un 22 juillet. Voilà que le gouvernement Valls a choisi le week end de Pentecôte, pour publier son décret sur les COMUE (Communautés d’Universités et d’Etablissements), appelées à succéder aux PRES (Pôles de recherche et d’enseignement supérieur) et destinées, comme ces derniers, à créer de grands établissements au prix d’un coût matériel et humain énorme pour les personnels et les étudiants. Rappelons que la concentration et le gigantisme ne sont en rien un gage d’excellence ni même d’économies d’échelle. Après la mise en œuvre de la loi Pécresse, un grand nombre d’établissements s’étaient vus transférer de très lourdes charges dont la masse salariale des fonctionnaires, sans les moyens de les payer, et s’étaient retrouvés, de ce fait, dans une situation financière catastrophique (mise sous tutelle du recteur, déficits répétés, suppressions et gels de postes, non-reconduction des emplois contractuels, etc.).

La situation s’est encore dégradée. Aujourd’hui plusieurs universités françaises sont en complète détresse avec des retards de paiement des agents, des bibliothèques qui n’ouvrent plus que quelques heures par jour, qui ne commandent plus d’ouvrages et qui meurent à petit feu, des ordinateurs en panne et qui ne sont plus remplacés, des crédits photocopieuses rognés,… Avec le nouveau décret, l’Etat reprend la main sur des établissements auxquels il avait accordé une autonomie théorique en les plaçant devant le dilemme suivant : supprimer des formations et des postes ou accepter le « plan de rétablissement de l’équilibre financier ». Plus largement, le ministère pousse à la fusion et au regroupement régional de ces établissements, ce qui entraînera des mobilités forcées, la remise en cause des acquis en matière d’horaires et de congés, des mutualisations de services, des réductions d’effectifs, l’externalisation de services entiers et, inévitablement, une dégradation des conditions de travail.

Les établissements regroupés deviendront des entités à échelle inhumaine où les instances de décision s’éloigneront des personnels. La démocratie universitaire déjà largement mise à mal par la loi Pécresse est totalement menacée. L’objectif est d’amoindrir systématiquement la représentation des personnels au nom d’une « gouvernance » resserrée. Les regroupements ont tous pour objectif de « coordonner l’offre de formation » de tous les membres, c’est-à-dire de la réduire. Ce processus de territorialisation de l’enseignement supérieur et de la recherche qui s’inscrit dans le cadre de la « spécialisation intelligente » imposée par l’Union européenne ne peut que déboucher à terme sur la régionalisation des diplômes, détruisant leur caractère national et remettant ainsi en cause les garanties collectives nationales des salariés ainsi que le démantèlement des organismes de recherche.

La pseudo-sanctuarisation du budget de l’enseignement supérieur et de la recherche dans un contexte de coupes sombres du budget de l’Etat ne doit abuser personne : d’abord parce que la masse salariale et les effectifs étudiants augmentent et donc que les crédits baissent en proportion ; ensuite parce que ce qui est vraiment maintenu ce sont le Crédit d'Impôt Recherche et les Programmes d'Investissements d'Avenir, dispositifs qui contribuent à l'affaiblissement de la recherche publique, notamment par le développement de l'emploi précaire sans création d'emplois de titulaires ; enfin, parce que ce budget ne devrait pas se contenter de rester stable, mais augmenter pour rattraper le retard accumulé. La France ne se situe plus qu’au 20e rang mondial pour les dépenses en matière d’enseignement supérieur et de recherche et les enseignants-chercheurs qui ont subi une baisse de plus de 10 % de leur pouvoir d’achat depuis 2000 sont aujourd’hui moins bien traités que leurs collègues d’outre-Pyrénées alors que chacun connaît pourtant la situation de l’Espagne ! En ce domaine aussi, la France est en train d’être déclassée en même temps que sa jeunesse est sacrifiée.

Dans ces conditions, il n’est malheureusement pas étonnant que ses éléments brillants s’expatrient pendant que de plus en plus d’étudiants sont en situation d’échec, malgré des plans du type « réussir en licence ». Certains diront cyniquement que l’Université existe avant tout pour contribuer au traitement social du chômage. Au final, les réformes LRU1 et LRU2 conduisent à l’inverse de ce pourquoi elles avaient prétendument été adoptées. Pour notre part, nous proposons de renverser complètement la donne en faisant de l’enseignement supérieur et de la recherche l’une des grandes causes nationales, en articulant mieux universités et grandes écoles, en rétablissant un cadre national d’habilitation dans tous les domaines, en revalorisant les carrières, en ré-étatisant la masse salariale et, pour le reste, en donnant plus de liberté et de démocratie internes aux établissements.

Eric Anceau

Responsable du projet de DLR