En 1971, la Charte de Munich posait les bases éthiques de la profession journalistique. Dix devoirs[i], tous centrés sur une idée simple : informer le public dans le respect de la vérité et de l’indépendance. Plus d’un demi-siècle plus tard, le cas Thomas Legrand et Patrick Cohen pourrait illustrer une dérive inquiétante : celle d’une confusion assumée entre journalisme et action politique.
Serge Halimi l’avait déjà souligné dans son livre Les Nouveaux chiens de garde[ii] : certains journalistes cessent d’être des contre-pouvoirs pour devenir des relais du pouvoir politique. L’affaire Legrand–Cohen pourrait en être une illustration contemporaine : dans le cadre des municipales à Paris, les deux éditorialistes voulaient intervenir pour favoriser le Parti socialiste et affaiblir Rachida Dati. Ce rappel prend un relief particulier lorsqu’on se souvient de la passe d’armes entre Nicolas Dupont-Aignan et Patrick Cohen en 2019[iii]. Le président de Debout la France dénonçait déjà, en direct à la télévision, une partialité persistante dans le traitement des voix politiques minoritaires.
Mais le problème ne se limite pas aux éditorialistes eux-mêmes. Les liens personnels et familiaux de certains journalistes peuvent interroger sur leur impartialité et la neutralité d’un entretien politique. Ainsi, Anna Cabana, journaliste politique et épouse de Jean-Michel Blanquer lorsqu’il était ministre sous Emmanuel Macron, avait loué le président à plusieurs reprises[iv], tandis que Léa Salamé, nouvelle présentatrice du journal de France 2, est mariée à Raphaël Glucksmann, député européen engagé à gauche au sein de Place publique. Ces situations soulèvent des interrogations sur la capacité des journalistes du service public à maintenir une neutralité stricte, alors que leurs liens personnels ou familiaux pourraient influencer la perception de leur impartialité.
Pour illustrer l’impact concret de ces biais potentiels, les chiffres du CSA (ARCOM) pour avril 2025 sur les chaînes généralistes le temps d’intervention dans les journaux sont éloquents [v]:
- Parti socialiste : 34 min 43 s sur France 2,
- Les Républicains : 14 min 34 s sur France 2,
- Debout la France : 2 secondes sur France 2.
Deux secondes. Ce chiffre résume le manque d’exposition d’un président de parti politique et futur candidat à l’élection présidentielle de 2027, alors que d’autres formations monopolisent l’antenne. L’écart met en lumière un déséquilibre flagrant dans la parole publique, compromettant la pluralité et la transparence de l’information. Pour mesurer l’ampleur de cette violation des principes fondamentaux du journalisme, il est utile de rappeler les normes établies par la Charte de Munich :
- Respecter la vérité quelles qu’en soient les conséquences.
- Ne pas confondre journalisme et propagande.
- Assurer la diffusion d’informations essentielles à la vie citoyenne.
En s’impliquant dans une campagne électorale et en biaisant la couverture médiatique, Legrand et Cohen seraient en violation de ces principes. Le journalisme devient donc une stratégie politique.
On aurait pu penser que l’audiovisuel français allait défendre ces fondamentaux, mais ce ne fut pas le cas. La présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte Cunci, a réagi en qualifiant CNews de « chaîne d’extrême droite »[vi]. Cette déclaration a suscité de vives critiques : en tant que dirigeante du service public audiovisuel, elle a un devoir de réserve, et sa fonction n’est pas de juger d’autres médias mais de garantir l’impartialité et la pluralité au sein de France Télévisions.
Au-delà des réactions individuelles, ce constat révèle un déséquilibre structurel dans l’audiovisuel français. La presse, en se rapprochant du pouvoir, perd sa fonction de chien de garde, de quatrième pouvoir. Dans ce contexte, le citoyen, représenté par des figures comme Nicolas Dupont-Aignan, risque de se retrouver presque invisible dans le débat public. La démocratie exige pourtant un équilibre : la parole de tous doit pouvoir circuler, et l’audiovisuel public doit rester indépendant pour garantir la confiance des citoyens et la légitimité du débat public.
[i] CFDT Journalistes, Charte déontologique de Munich, consulté le 22 septembre 2025, https://cfdt-journalistes.fr/charte-deontologique-de-munich/.
[ii] Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, nouvelle édition actualisée et augmentée, 4 février 2022, éditions Liber / Raisons d’agir.
[iii] Nicolas Dupont-Aignan, invité de C à Vous, 6 mars 2019, disponible sur YouTube.
[iv] Europe 1, 20 janvier 2022, Anna Cabana sur la polémique Blanquer : un débat sans élément contradictoire, disponible sur YouTube.
Ridicule TV, Emmanuel Macron est exceptionnel, disponible sur YouTube.
[v]CSA (ARCOM), Temps de parole dans les journaux télévisés – Chaînes généralistes, 01-04-2025 au 30-04-2025, PDF consulté le 22 septembre 2025.
[vi] Le Monde, 18 septembre 2025, Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions : « La galaxie médiatique de Vincent Bolloré veut la peau de l’audiovisuel public », consulté le 22 Septembre 2025.