Hollande, le non constructeur

En Occident, l’histoire des hommes et des idées s’est le plus souvent inscrite dans la pierre de nos monuments. C’est pourquoi nos présidents successifs ont été les commanditaires de réalisations architecturales, qui ne visaient pas à défier le temps mais plutôt à cristalliser notre mémoire nationale, en un instant et un lieu précis, pour transmettre notre message culturel aux Français du futur. Cette démarche s’inscrit dans une longue tradition qui a façonné la France, et Paris en particulier. Soucieux d’unité architecturale, Henri IV fit édifier la Place Royale devenue aujourd’hui la Place des Vosges. Notre capitale doit à Louis XIV, grand bâtisseur et protecteur des arts, les Invalides et la Place Vendôme. Napoléon, grand fondateur d’institutions, ne négligea pas la tradition et commanda l’Arc de Triomphe de l’Étoile.

Les présidents de la Ve République, chacun avec sa personnalité propre, ont illustré leur mandat d’une œuvre, le plus souvent inaugurée par leur successeur, qui dit quelque chose du commanditaire et de l’idée qu’il se fait de la France. Charles de Gaulle, qui avait à l’esprit la grandeur de la France plus que la sienne propre, lança le projet d’un aéroport d’importance mondiale qui porte aujourd’hui son nom et vient de fêter ses quarante années d’existence. Féru d’art contemporain, Georges Pompidou créa le Centre national d’art et de culture plus familièrement connu sous le nom de Beaubourg, dont on peut regretter le lieu d’implantation resserré au centre de Paris, alors qu’il aurait pu d’ores et déjà constituer une admirable première pierre d’un « Grand Paris ». Valéry Giscard d’Estaing transforma l’ancienne gare d’Orsay en musée du même nom. Les deux septennats de François Mitterrand, aux mœurs et à l’orgueil médicéens, se traduisirent par une débauche de projets architecturaux (Bercy, la BnF, l’Opéra Bastille, la Cité de la Musique, l’Institut du Monde arabe, l’Arche de la Défense…), et ce président ne laissa à personne le soin d’inaugurer à sa place la Pyramide de Ming Pei au Louvre, juste un mois avant sa réélection en 1988.

Jacques Chirac, né à Paris, porta ses regards vers d’autres civilisations et créa le musée du Quai Branly consacré aux arts premiers. Nicolas Sarkozy rompit avec la tradition : le déserteur de La Princesse de Clèves et de la langue française est resté étranger à notre culture architecturale, et ne laissera rien aux générations futures si ce n’est une dette augmentée de 600 milliards durant son quinquennat, et le souvenir d’un référendum trahi. Aucune commande n’est à attendre de François Hollande, qui s’en étonnera ? Comment penserait-il à l’avenir quand il a déjà bien du mal à se « cramponner » au présent et que son rôle se réduit à la commémoration du passé ? Brusquement pris d’une soif culturelle, il vient d’inaugurer coup sur coup le musée Picasso (l’avait-on informé qu’il s’agissait d’une réouverture après travaux ?), et la Fondation Vuitton, voile architecturale gonflée par la mondialisation financière, dont la structure transparente dissimule mal les arrières pensées fiscales.

En d’autres temps, Fouquet paya fort cher une fête et un château qui faisaient de l’ombre à Louis XIV, mais en 2014 le président de la République, qui ne règne plus mais ne gouverne pas non plus, ne s’offusque pas de consacrer ce vaisseau du luxe, propriété de la première fortune française. L’idée l’a-t-il effleuré que le coût de ce « mécénat » mal nommé se reporterait sur les contribuables qui devront payer plus de la moitié des cent millions annoncés – et sans doute largement dépassés – de la Fondation Vuitton ? Le cadeau fiscal fait à Bernard Arnault n’aurait-il pas été mieux utilisé dans un geste architectural fort, qui aurait inscrit le mandat présidentiel dans la lignée des précédents (hormis le dernier qui s’est exclu lui-même de cette continuité) ?

Sa seule et pathétique excuse, « ça ne coûte rien, c’est l’État qui paie », montre hélas les limites de son ambition pour la France. Sa confusion entre gratuité, argent public et intérêts privés n’a d’égale que son manque d’appétence culturelle, dont souffrent les Français, attachés à leur culture et à leur histoire.

Evelyne Thomas
Déléguée nationale à la Culture