Dans quelques jours, dans quelques heures, il sera trop tard. Le merveilleux Musée des Tissus et des Arts décoratifs de Lyon disparaîtra dans l’indifférence de ceux qui nous gouvernent, si ces derniers ne sortent pas de leur attitude de déni.
Une pétition pour sauver le musée a pourtant recueilli près de 100.000 signatures.
Sont-ils sourds ? Sont-ils aveugles ? Sont-ils à ce point incultes ?
Le Président de la République, qui s’est tant ému – à juste titre – de la disparition de Palmyre, connaît-il le patrimoine de la France et a-t-il jamais visité le Musée des Tissus ? Madame Fleur Pellerin s’y est-elle incidemment intéressée ces dernières années ? Madame Audrey Azoulay sait-elle qu’il existe ? Cumulant les mandats, sans doute trop absorbé par sa nouvelle fonction de président de la métropole, le maire de Lyon pourrait-il sortir des déclarations de principe et peser de tout son poids pour défendre ce joyau incomparable ?
On reste confondu devant tant d’indifférence, alors que le fameux MTAD est un fleuron de notre patrimoine, lequel, il est vrai, est désormais bradé sans vergogne. Le Musée des Tissus est un bien commun, un de ceux qui devrait être déclaré intangible, il est non seulement indissociable de l’histoire de Lyon, avec un fonds historique unique, mais la richesse de ses collections lui donne une stature nationale et internationale, qui rivalise avec les plus grands musées du monde. Imagine-t-on les Américains laisser fermer le Metropolitan Museum of Art ou les Anglais le Victoria & Albert Museum ?
Faut-il rappeler aux ignorants qui nous gouvernent que les collections du Musée des Tissus et des Arts décoratifs rassemblent plusieurs millions d’œuvres, réparties dans ces deux musées qui n’en font qu’un, des étoffes qui gardent la mémoire de 4500 ans d’histoire du textile de l’Antiquité à nos jours, avec des pièces inestimables recueillies lors des fouilles d’Antinoé, ou provenant de Chine, ou encore des commandes royales ou impériales pour Versailles, velours, brocarts, damas de dentelle… Le MTAD c’est aussi des milliers de dessins de maîtres anciens, des objets précieux, tout le raffinement de la culture française. Ce musée exemplaire comporte un atelier de restauration des textiles anciens de renommée mondiale et un centre international d’étude des textiles anciens (le CIETA) qui contribue au rayonnement de la France. Il joue un rôle important dans la formation et la valeur de son service pédagogique n’est plus à démontrer. Le MTAD est, de toute évidence, une perle rare dans un domaine d’excellence.
Le seul tort du musée est d’être géré par une CCI, un cas exceptionnel dû à des raisons historiques, détail qui, de manière absurde, n’a pas été pris en considération lorsque Bercy a décidé de prélever une partie des fonds de roulement des CCI. Ponctionnée de 15 millions par l’État en 2015, la CCI de Lyon n’est plus en mesure d’assumer la gestion du musée qui devra fermer dans quelques jours, si une solution n’est pas trouvée.
Le 2 février dernier à l’Assemblée Nationale, Madame Dominique Nachury, députée et conseillère municipale de Lyon, a questionné la Ministre de la Culture, représentée par Monsieur Harlem Désir, sur le devenir du MTAD. La réponse fut affligeante, toute de principe et lénifiante, sans aucun élément concret pouvant laisser espérer la moindre ébauche d’un début de volonté de décision. Pourtant la situation est urgente. Si aucune solution n’est trouvée lors d’une ultime réunion organisée le 8 mars prochain, le couperet tombera moins d’une semaine plus tard : lors du vote de son budget la CCI de Lyon Métropole, issue de la fusion des CCI de Lyon, Saint-Etienne et Roanne, supprimera purement et simplement la ligne budgétaire d’aide à ces deux musées, et les locaux seront vendus.
Loin de constituer des économies, le démantèlement du musée et la dispersion des collections seraient une nouvelle source de gaspillage de l’argent public. En effet, le Musée des Tissus et le Musée des Arts décoratifs ont chacun reçu l’appellation « Musée de France » selon la disposition de la loi du 4 janvier 2002. L’État serait donc tenu de participer pour la moitié du coût total, à la mise à l’abri et à la conservation des collections. Il faudrait trouver un lieu et le mettre aux normes pour la conservation des œuvres, engager des dépenses conséquentes uniquement pour le stockage des collections qui ne seraient plus accessibles.
Un projet alternatif existe pourtant, qui fut un temps envisagé : faire du MTAD une antenne du Louvre à Lyon. Pourquoi l’avoir abandonné ? Pourquoi le bon sens fait-il tant défaut à ce gouvernement ? Quel manque de clairvoyance, quel manque d’imagination et surtout quel manque d’ambition pour la culture !
En 1730, le roi Louis XV, alerté par les doléances des Lyonnais, demanda une enquête. Sans en attendre les résultats et devant la gravité de la situation de la Fabrique, le contrôleur général des meubles de la Couronne passa une importante commande d’étoffes « pour le service du Roy » afin de venir en aide aux fabricants qui se partagèrent le travail. On aimerait que l’État soit aussi réactif au XXIe siècle.
Evelyne Thomas
Déléguée nationale à la Culture