Ce dimanche, à 15h, alors que je boitais dans ma ville pour les municipales, une camionnette de location s’arrête devant un pavillon de banlieue. Une personne sans tenue de travail particulière en descend pour mettre dans une boîte aux lettres un colis Amazon… Je prends quelques minutes de son temps que je sais précieux, puisqu’il travaille, pour mieux comprendre ce qu’il vit. Il me confirme la réalité du « bout de la chaîne » d’un système soi-disant à la pointe de la révolution numérique qui aurait « disrupté » la vente par correspondance traditionnelle et le commerce en général. Pas de drone, pas de robot mais un employé précaire payé au lance-pierre un dimanche qui a dû se débrouiller lui-même pour avoir un véhicule…
Le commerce digital est bien cela, une activité hors sol, non persistante, instantanée, avec une chaîne de valeur pauvre sur un produit qui a de grande chance d’être d’ailleurs étranger par choix d’optimisation des acheteurs centraux … Le tout avec un effectif minimal localisé en France et en dehors d’une juste taxation, de l’application systématique de la TVA et des impôts divers et variés. L’image « cool » des GAFAM ; Amazon en tête, n’est qu’une gigantesque opération marketing pour dissimuler un modèle économique au rabais qui sacrifie la justice sociale, le patriotisme économique et le développement durable au profit du seul profit de court terme.
C’est ce système surcoté et infernal que Mounir Mahjoubi, ancien secrétaire d’état au numérique, pointe du doigt dans un rapport à destination de l’Assemblée Nationale et traitant du cas spécifique de ce géant, Amazon, ogre mondial du commerce numérique.
Amazon est leader dans le e-commerce dans la plupart des pays développés, y compris en France ? Au 2ème trimestre 2019, Amazon totalise, dans notre pays, 5 millions de connexions par jour alors que n°2, le français CDiscount du Groupe Casino n’arrive qu’à … 2 millions. Pour la myriade de plus petits sites de e-commerce français, en particulier, la concurrence est rude. Pour se faire connaître et défier Amazon, il faut faire de la publicité, publicité qui coûte de plus en plus cher. Ainsi depuis 6 ans, Facebook a multiplié par 10 le coût de ses services de publicités ciblées.
Amazon et son concurrent chinois Alibaba affichent d’ailleurs leur mépris éhonté envers toute régulation sociale, fiscale et même éthique. Le 26 mars dernier, M. Mahjoubi, encore au gouvernement, avait reçu des acteurs du e-commerce pour signer une charte d’engagements envers les fournisseurs, en particulier les TPE-PME. Tout le monde était présent sauf Amazon et Alibaba qui brillaient par leur absence volontaire !
Mounir Mahjoubi écrit beaucoup de rapport pour compenser l’inaction totale d’Emmanuel Macron. Quelques mois auparavant, un autre rapport dénonçait la sous-taxation des GAFAM dans notre pays. Mounir Mahjoubi déclarait ainsi, dans Le Parisien du 24/09 : « Si l’esprit de nos règles fiscales étaient appliquées, leur impôt sur les sociétés s’élèverait à 1,1 milliard ». Il rappelait aussi que seulement 130 millions avaient été effectivement taxés, soit neuf fois moins que le chiffre réel plus conforme à ces activités en France …
Pendant ce temps, pour Bruno Lemaire, ce problème ne peut être résolu que par des décisions extra-nationales par l’entremise de l’UE ou de l’OCDE comme si une nation européenne ou une organisation internationale pouvait prendre de véritables décisions souveraines en matière d’imposition et de fiscalité.
Les GAFAM veulent au contraire édicter leurs propres règles au niveau mondial, bénis par la puissance des Etats-Unis : les autres Etats n’existent pas pour eux, en dehors de la Chine, qui chouchoute ses propres champions.
Certes, l’OCDE est un organe consultatif d’études et de coopération qui pourrait faciliter des échanges entre ses membres et les non-adhérents (pays d’Afrique, Russie et Asie pour résumer) mais en aucun cas, cette organisation est un organe exécutif et représentatif des Etats … Les Etats-Unis en particulier, feront ce qu’ils veulent et ce ne sera jamais dans l’intérêt de l’Europe ni de la France.
Ces GAFAM, érigés en « Business Nations » sont-ils si puissants et hors sols, tant protégés par leur bienveillant hébergeur, les Etats-Unis, pour que toutes décisions unilatérales d’un Etat-Nation voire discussions ou transactions bilatérales soient impossibles ?
Les comportements frauduleux des GAFAM sont désormais bien connus des français mais pas leur véritable impact sur l’emploi réel. Pendant longtemps, les GAFAM ont été vus comme des nouveaux acteurs économiques qui créeraient plus d’emplois qu’ils n’en détruiraient… Vraiment ?
Pour revenir à Amazon, Mounir Majhoubi estime que la multinationale a directement détruit 7900 emplois dans le secteur commercial en France. 20 000 emplois seraient potentiellement supprimés dans le commerce de proximité.
Qu’arrivera-t-il quand Google Shopping, le concurrent, déploiera totalement ses ailes en France et commencera le combat de bonne guerre avec son seul rival co-continental et mondial, Amazon, sachant que les puissants asiatiques (Alibaba) sont moins actifs sur nos territoires ?
Les années futures risquent d’être un emballement de la machine du commerce digital tant les outils sont déjà déployés et prêts à monter en puissance. D’ici là qu’auront décidé les commerçants et sites marchands français, certains tirant encore leur épingle du jeu par fidélisation, proximité et culture différentielle des GAFAM.
La destruction de l’activité de vente directe traditionnelle est bien plus importante que les créations d’emplois de logistique d’Amazon. Et que dire de la qualité de ces emplois très durs physiquement et moralement, qui ne cherche à créer ni lien humain ni compétence sur la longue durée.
A défaut de pouvoir délocaliser les entrepôts dans les pays à bas coût, les multinationales importent des pratiques sociales misérables pour gagner toujours plus d’argent. En bout de course, pour le colisage et la logistique « du dernier kilomètre », de nouveaux emplois de basse qualification sont requis, nécessitant une disponibilité nuit et jour, très minimalement payés, parfois source de fraude (sous-traitance à des sans papiers …), de charges aléatoirement payées, de cadences infernales. Ces emplois sont pris d’assaut par des travailleurs hautement précaires et peu enclins à se rebeller car en grande détresse sociale.
L’actuel secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, s’est rendu à l’inauguration du nouveau centre de logistique d’Amazon, le 22 octobre dernier, à Brétigny, mettant en avant que cela avait été « rendu possible » par la « réforme du marché du travail » … (son tweet), à savoir la précarisation des salariés les plus modestes.
Pire, Amazon accentue la désindustrialisation française en assurant la promotion de produits importés fabriqués dans les pays en développement, sans aucune considération sociale, éthique ou écologique. L’obsolescence et la consommation de masse ont remplacé la qualité et la pérennité.
Fort de ce constat, Debout La France énonce donc les cinq principes suivant :
- L’organisation et les règles actuelles de l’Union Européenne favorisent directement les GAFAM qui installent leurs sièges sociaux et organisent leurs montages fiscaux dans l’un des paradis fiscaux intra-européens (Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, …). La France ne peut plus tolérer ces règles absurdes. Il faut suspendre tous les pays de l’UE qui favorisent ces montages qui ne visent rien de moins qu’à piller les ressources fiscales de leur partenaire européen !
- Nous devons obliger toute société qui souhaite faire du chiffre d’affaires en France à se domicilier dans notre pays. La Chine impose cette obligation depuis des décennies avec le succès qu’on lui connait afin d’assoir un contrôle local, fiscal et réglementaire, crédible.
- L’imposition des multinationales doit se faire sur la base du chiffre d’affaires réel qu’elles réalisent avec les personnes morales et physiques identifiées avec leur nationalité. Ces deux éléments devraient permettre un mouvement vers un équilibre plus juste de mise en concurrence loyale entre nos acteurs français et ses multinationales.
- Le troisième point est bien entendu la recherche d’alternatives efficaces pour créer une juste concurrence locale – nationale à ces services. Il faut inciter à la naissance ou à la transformation d’entités existantes vers un statut de géants français « du web« majeurs, autonomes, combatifs, qui recouvrent ces mêmes services de vente et distribution de produits et de services. Cette politique n’empêche nullement de travailler sur des partenariats équilibrés avec les GAFAM pour peu que la France se fasse enfin respecter.
- Le quatrième point est une incitation, une promotion à l’achat français. L’achat français doit se faire sur des produits dont le cycle de vie est positif pour notre économie, celle de nos PME, pérennes, pourvoyeuses d’emplois solides et respectueux de l’individu, de nos terroirs.
Reprenons la main et informons nos concitoyens pour qu’un cercle vertueux s’installe en faveur de modes de consommations éthiques et patriotiques le plus vite possible. La défense de notre liberté, de notre autonomie, de la survie de nos territoires, et de notre niveau de vie sont à la clef.
Lionel Mazurié
Délégué National au Numérique