La priorité nationale existe bien : François Hollande et Canal Plus semblent l’appliquer scrupuleusement dans le secteur du football, quitte à violer allègrement le droit de la concurrence au préjudice des clubs et des supporters abonnés aux chaînes de télé. Dans l’histoire du droit de la concurrence, rares sont les « ententes » (accords entre entreprises concurrentes) à avoir causé un préjudice financier si manifeste et aisé à établir par les victimes.
Le désormais fameux Un Président ne devrait pas dire ça raconte comment les dirigeants de Canal Plus sont venus supplier François Hollande de « sauver Canal »
à l’occasion de l’appel d’offres organisé par la Ligue de Football Professionnel en avril 2014. La chaîne qatarie beIN Sports projetait en effet de miser suffisamment pour remporter l’ensemble des droits de diffusion des matchs de Ligue 1 et de Ligue 2 des saisons 2016-17 à 2019-20. Pour Canal Plus, déjà en perte de vitesse, c’était la faillite quasi-assurée, au moins sur son volet sportif. Qu’à cela ne tienne, François Hollande aurait téléphoné à l’émir du Qatar pour organiser un « partage » – la pire infraction possible en droit de la concurrence. Bon prince, l’émir du Qatar accepte le partage ; beIN Sports mise beaucoup moins que prévu et laisse la part du lion à Canal Plus. Les droits sont vendus pour un peu moins de trois milliards d’euros alors que beIN comptait selon certaines sources offrir jusqu’à quatre milliards. On aurait pu (dû ?) s’attendre à un démenti, mais près d’un mois après la parution de l’ouvrage l’Elysée n’a contesté aucun des propos rapportés par les auteurs du livre.
A première vue, la violation flagrante du droit de la concurrence (cœur du traité fondateur de l’Union européenne) pour protéger une bonne entreprise française de la concurrence venue du Proche Orient fait presque sourire tant elle contredit le discours d’ouverture aux échanges et d’attachement au droit communautaire prôné par notre Président de la République et tellement « esprit Canal ».
Oui à la concurrence la plus féroce pour l’industrie et l’agriculture mais surtout pas pour les artistes (exception culturelle oblige) et désormais les chaînes de télévision amies du pouvoir.
Mais après le sourire vient une question : comment les « victimes » pourront-elles obtenir réparation ? Car cette entente a lésé deux types de victimes. Les premières, le plus évidentes, sont les clubs de football de Ligue 1 et de Ligue 2, privés de plusieurs centaines de millions d’euros de recettes. On ne peut pas demander aux clubs de respecter le fair play financier et d’offrir un championnat de qualité en tarissant leur première source de revenus. Les secondes victimes, les plus nombreuses, sont les supporters qui ont souscrit un abonnement Canal Plus pour assister aux rediffusions des meilleurs matchs – et ces supporters représentent l’essentiel des abonnés. Eux aussi ont été « volés » de plusieurs dizaines d’euros chaque mois, pour un abonnement qu’ils n’auraient sans doute pas souscrit autrement.
Pour réparer cette injustice, on pense d’abord à une plainte devant les autorités de concurrence, qui ne paraissent pas enthousiasmées par l’affaire. Car enquêter serait une déclaration de guerre contre Canal Plus et le Président de la République. En effet, si les faits étaient établis l’amende infligée pourrait se chiffrer en centaines de millions d’euros et François Hollande risquerait même (après son mandat) une condamnation pénale.
L’action en indemnisation contre l’Etat que semble envisager la Ligue de Football Professionnel semble également problématique. On voit mal les juges administratifs, aux pouvoirs d’enquête limités, condamner l’Etat et donc les contribuables à verser jusqu’à un milliard d’euros de dommages et intérêts aux clubs de football en raison d’un cartel organisé en partie par le président de la République…
Reste la voie la plus simple : assigner Canal Plus et beIN Sports devant les tribunaux pour leur demander d’indemniser les clubs et tous les amateurs de football abonnés à Canal qui auraient pu se contenter de l’abonnement beIN Sports, trois fois moins onéreux. Les conditions d’une action en indemnisation d’une infraction de concurrence auront rarement depuis la création de ce droit été aussi favorables.
Ironie de l’histoire, le Gouvernement et le Parlement transposeront d’ici la fin de l’année une directive européenne destinée à considérablement faciliter l’indemnisation des victimes d’infractions au droit de la concurrence ! Après avoir organisé le cartel, le président offre aux clubs et aux supporters le meilleur moyen d’en obtenir réparation. A quand un tifo « Merci pour ce moment » en tribunes ?
Damien Lempereur, délégué national chargé des relations avec les partis politiques étrangers
Philippe Prigent