Joseph Stiglitz : « Matteo Renzi et François Hollande resteront impuissants sans une réelle réforme de la zone euro »

Le 25/09

Etes-vous surpris par la nouvelle stagnation en Europe ?

Non. Je ne suis pas du tout surpris par cette « triple dip recession » (double rechute) qui s'installe dans une partie de l'Europe. C'est le résultat logique de politiques inadaptées et de structures défaillantes de la zone euro. C'était prévisible car les projections de la BCE et du FMI étaient excessivement optimistes. On oublie d'ailleurs que cette rechute a commencé avant la crise ukrainienne. Et les problèmes avec la Russie risquent encore de l'exacerber.

Comment jugez-vous les débuts de Matteo Renzi ?

Je ne vois pas encore de tournant significatif. Car Angela Merkel maintient sa rhétorique de la rigueur et de l'équilibre budgétaire. Or, les principaux efforts doivent être accomplis au niveau européen : la marge de manoeuvre des pays individuels est très limitée. L'espoir est que la France et l'Italie puissent faire évoluer les choses. Mais ils ont encore les mains liées par l'immobilisme d'Angela Merkel et l'absence de réforme de la zone euro. Il n'y a pas encore de signe de flexibilité malgré des avertissements sévères tels que la montée du Front national. Les progrès de l'Union bancaire en Europe sont encore douteux. Je suis déçu par l'absence de réaction plus forte face à l'ensemble des clairs signaux de l'échec avéré des politiques d'austérité, année après année.

La France est-elle mieux placée que l'Italie en termes de potentiel de réformes ?

Le parcours de la France a été encore pire. J'ai été vraiment très déçu par François Hollande. Un des principes de base de l'économie est celui du « balanced budget multiplier » : si vous augmentez les impôts et les dépenses, cela stimule l'économie et cela crée plus d'emplois sans augmenter le déficit. Hollande fait actuellement exactement l'opposé : il baisse les impôts et réduit les dépenses publiques. Cela entraîne une « balanced budget contraction ». Il s'est embarqué dans une série de politiques que nombre d'économistes considèrent comme incohérentes. Ses mains étaient liées, mais il n'avait pas à adopter ces politiques qui ont affaibli la position de la France. Il n'y a pas de signe que les baisses d'impôts pour les entreprises vont contribuer à relancer l'investissement. Ce sont ces politiques qui sont à l'origine des problèmes. Avant 2008, la France était dans une position relativement bonne et avait un des niveaux de productivité (par heure travaillée) parmi les meilleurs du monde. La machine productive fonctionnait. La France devenue l'« homme malade » de l'Europe est un phénomène post-crise. C'est l'effet conjugué des erreurs des « policy-makers » et de l'impact de l'euro. Sans les erreurs politiques, l'économie française serait relativement en bonne forme. Car la France garde une capacité d'innovation et de bonnes universités.

La réforme de l'emploi est-elle la priorité absolue en Italie ?

Faire des réformes lorsqu'une économie est très malade, à cause de l'euro et de l'austérité, est très difficile. Dans un contexte de récession, les réformes de l'emploi sont très difficiles. La flexibilisation du marché du travail est beaucoup plus acceptable dans un contexte de croissance. Sinon, on met la pression à la baisse sur les salaires, ce qui exacerbe les inégalités. La plupart des réformes envisagées sont sous l'angle de l'offre « supply-side reforms ». Or le problème majeur en France et en Italie est celui de la demande, pas de l'offre. Je pense que ce n'est pas le moment de faire ces réformes de l'emploi. Si la demande n'est pas là, vous créez plus de chômage. On peut mettre en place un cadre pour garantir la flexibilité quand le retour au plein-emploi sera là. Mais créer un environnement où les salaires baissent et le chômage augmente n'est pas un moyen d'assainir une économie. A cet égard, le « modèle espagnol » est tout sauf un modèle. Cela revient à détruire une génération.

Quel sera le test clef pour relancer l'économie ?

Il faut que l'Allemagne change sa position sur le « traité de discipline budgétaire », la réalisation d'une vraie Union bancaire et le lancement des « eurobonds » qui ne sont toujours pas sur la table. Faute de progrès, ma prévision est que l'économie va continuer à stagner. S'il se concrétise, le plan d'investissement de 300 milliards d'euros de la Commission Juncker pourrait certes avoir un impact positif. Mais ce n'est pas un montant considérable. Les Etats-Unis ont dégagé 700 milliards de dollars et cela n'a pas été suffisant. Le circuit du crédit n'a pas encore été réparé en Europe. Baisser les taux d'intérêts ne résout pas le problème de l'offre de crédit. C'est bien pourquoi aller plus loin sur l'Union bancaire est crucial. 

Pierre de Gasquet, Les Echos

Correspondant à Rome