La relation transatlantique a reposé historiquement sur le leadership sécuritaire américain, via l’OTAN, la coopération politique, économique et diplomatique, une défense commune contre l’Union soviétique durant la Guerre froide, puis sur une réponse collective à l’agression russe contre l’Ukraine depuis 2022.
Mais les cartes ont soudainement été rebattues, à la surprise et à la stupeur d’une Europe qui, à cause de son aveuglement, ne voit que ce qu’elle veut bien voir.
Avec la publication par la Maison-Blanche, le 4 décembre dernier, du document « National Security Strategy » ou « Stratégie de sécurité nationale des États-Unis », une nouvelle stratégie de sécurité nationale américaine vient d’être proclamée.
Il s’agit du texte officiel qui expose les nouvelles priorités de la politique étrangère et de sécurité des États-Unis pour les prochaines années.
Il sonne comme l’aveu d’une puissance qui entend se délester de charges devenues trop lourdes, tout en empêchant qu’un autre géant ne prenne sa place.
Depuis trois quarts de siècle, la relation transatlantique vivait sous l’ombre portée des États-Unis : défense commune, architecture atlantique, solidarité proclamée face aux périls du temps.
Or voilà que, brusquement, Washington change de cap.
L’Europe, qui s’est longtemps bercée d’illusions, découvre la réalité : l’histoire avance, et ceux qui ne s’y préparent pas sont condamnés à la subir.
Le document présenté le 4 décembre dernier n’est pas un ajustement, ni même une inflexion : c’est un tournant.
Depuis 1945, l’Amérique n’avait jamais remis en cause aussi ouvertement le rôle qu’elle s’était elle-même assigné.
Il ne s’agit donc pas d’un simple changement d’administration, mais bien d’un changement de paradigme.
Il ne faut y voir aucune alternance, mais bien une rupture.
La nouvelle stratégie américaine recompose les alliances, revoit la place de l’Europe, reconsidère l’Ukraine et s’appuie sur une doctrine nationale affirmée.
Désormais, les États-Unis entendent s’occuper d’abord d’eux-mêmes et n’hésitent plus à regarder l’Europe avec distance, parfois même avec sévérité.
Pourquoi une telle mutation ?
Parce que le monde change de visage : la Chine avance, la Russie se réinstalle, les équilibres chancellent.
Dans un tel moment, une grande nation qui entend le rester redit ce qu’elle veut et ce qu’elle peut faire, et surtout ce qu’elle ne fera plus.
Pourquoi maintenant ?
Parce qu’une politique, pour être crédible, doit être conforme à son principe et aux réalités du monde.
L’administration américaine actuelle applique le sien : « America First. »
Elle resserre son périmètre, renforce ses frontières, réorganise ses alliances.
L’Europe n’y figure plus comme une priorité, mais comme une contrainte dont il faut réduire le coût (l’Europe est reléguée au troisième rang des priorités globales après le continent américain et l’Indo-Pacifique).
Ainsi voit-on l’Amérique renoncer au rôle de « gendarme du monde », critiquer ouvertement un continent jugé faible, fragmenté, anesthésié, et n’écarter ni une révision du soutien à l’Ukraine ni un rééquilibrage avec la Russie.
Quant à la Chine, elle demeure l’adversaire premier, mais à ce stade sur le terrain décisif de l’économie et de la technologie, et non militaire.
Et l’Europe dans tout cela ?
Le roi est nu !
L’Europe, aujourd’hui, se découvre sans voile.
Elle pensait vivre sous un parapluie éternel, elle comprend que celui-ci se referme.
Comme il n’y a pire aveugle que celui qui ne veut pas voir, elle croyait indéfiniment être au cœur des préoccupations américaines et elle apprend qu’elle n’est plus qu’un théâtre secondaire.
C’est la raison pour laquelle le général de Gaulle, fin connaisseur de l’histoire du monde, voulait éviter cette incertitude et cette fragilité induite à notre pays. Il a jeté les bases d’une France grande, puissante, crédible et indépendante, parlant en son nom avec tous.
Il voulait que la France soit la France, qu’elle puisse conserver son autonomie de décision et la maîtrise de son destin.
C’est la raison pour laquelle, outre le fait de lui donner une politique étrangère à la hauteur, il l’a dotée d’une force nationale de dissuasion nucléaire, crédible et capable de garantir ses intérêts vitaux et son indépendance, sans s’encombrer d’autres considérations. Il a voulu qu’elle possède la maîtrise pleine et entière de tous les armements concourant à sa défense et a donc mis en place une industrie de l’armement reconnue, complète et performante. Dans le même temps, il a fait le choix de sortir du commandement militaire intégré de l’OTAN pour retrouver un nécessaire espace stratégique.
Enfin, comprenant l’axe du monde, il a choisi de favoriser une énergie nationale et abondante, l’énergie nucléaire, et une industrie puissante capable de garantir sa puissance et son indépendance, conçue comme le fait de n’être dépendante de personne.
Aujourd’hui, pour tous les écervelés de l’intégration à tout prix et sans aucune condition, le choc est rude, mais peut-être salutaire.
Du moins faut-il l’espérer !
Les États ne comptent que par leur force, leur cohésion et surtout leur souveraineté.
Et lorsque les grands discutent entre eux, selon les principes du « dialogue mélien », ils n’écoutent guère ceux qui n’ont ni moyens ni volonté.
L’élargissement de l’OTAN s’interrompt.
La sécurité européenne redevient, soudain, l’affaire des Européens.
Mais avec quels moyens et pour quelle stratégie ?
Dans la crise ukrainienne, l’Europe, puissance illusoire et inconsistante, s’est avancée, sans doute imprudemment et sans disposer des instruments de sa politique.
Les nations qui la composent doivent-elles pour autant se résigner à l’impuissance ?
Le choix est là, devant, et sans échappatoire, mais il ne peut qu’entraîner de nécessaires remises en question.
Ou bien une Europe adaptée, animée à nouveau par les nations, est capable de forger un esprit de défense, sans remettre en cause celui des nations, de refonder sa capacité industrielle sans nuire à celle des pays qui la composent, de trouver un esprit de puissance, ce dont on peut douter avec l’actuelle Union européenne, ou bien elle est condamnée à se disperser, s’effacer et quitter l’histoire sur la pointe des pieds.
Les illusions se dissipent toujours, la vérité se dresse.
L’Europe, appuyée sur un système mauvais, a jusque-là choisi l’illusion, elle se retrouve devant le précipice.
Toutefois, si aucune folie n’est commise entre-temps, cette « rupture » obligée avec le passé pourrait devenir l’occasion d’un sursaut : celui par lequel les nations européennes reprendraient en main leur destinée et restaureraient leur souveraineté.
Il revient désormais aux nations européennes de décider si elles veulent être actrices de leur destin… ou de simples figurantes dans l’histoire des autres.
Rien n’est perdu pour autant : il arrive que ce soit au bord du précipice que les nations, parfois, retrouvent leur bon sens et leur grandeur.
Encore faut-il qu’elles le veuillent !
Christian MICHALAK
Délégué National au Projet Présidentiel





